Si Louis Leterrier n’a toujours pas réitéré son coup d’éclat de Danny the Dog, l’élève le plus doué de l’écurie Europacorp s’est par contre définitivement installé dans une belle carrière aux États-Unis. Après L’incroyable Hulk et Le Choc des titans, deux superproductions qui ne manquent pas d’intérêt, le voici à la tête d’une coproduction franco-américaine qui réunit sans doute un des plus beaux castings de l’année. Las, rien n’y fait, le réalisateur a beau rouler des mécaniques à travers sa mise en scène, il ne peut transformer un scénario minable en un miracle.
D’entrée de jeu, Insaisissables se frotte à un exercice dont le maître-étalon semble intouchable : Le Prestige. Le grand spectacle de la magie dont la manipulation trouve un écho logique dans celle opérée par le metteur en scène et son scénario, le sens du spectacle, et même la présence de Michael Caine. Sauf que là où le récit élaboré par les frères Nolan brillait par sa cohérence dans la multitude de rebondissements, celui dont ont accouché Ed Solomon (jadis scénariste de Men in Black), Boaz Yakin (scénariste de Prince of Persia et du Punisher de Mark Goldblatt) et Edward Ricourt, ne tient pas la route. A trop vouloir jouer avec la poudre aux yeux, il s’aveugle lui-même et ne va nulle part, plombé par une construction terriblement maladroite. C’est d’autant plus rageant que sur le papier, Insaisissables possède un potentiel immense, celui de réitérer l’exploit Ocean’s Eleven avec en plus l’ingrédient non négligeable de la magie comme outil de braquage. Malheureusement chaque bonne idée ne se transforme pas nécessairement en bon film, en particulier si elle est si mal exploitée.
Plein de promesses non tenues, Insaisissables est la première vraie grosse déception de la carrière de Louis Leterrier. La faute dans un premier temps à ce script branlant articulé autour d’une sorte de whodunit qui ne tient pas vraiment la route. A trop vouloir manipuler le spectateur sans une base solide sur laquelle s’appuyer, les auteurs se perdent en cours de route. Là encore, l’idée est bonne, à savoir utiliser la magie façon David Copperfield pour manipuler le spectateur en même temps que le policier lancé à leurs trousses. Mais elle est exploitée de façon plutôt ludique dans un premier temps avant de se diriger tout droit dans le mur à travers une révélation finale passablement grotesque. Non seulement cet ultime retournement de situation parait improbable, mais il est possible de le voir venir à des kilomètres tout en essayant de se persuader qu’ils n’oseraient pas. Et la manipulation qui fonctionnait merveilleusement dans Le Prestige ou dans La Prisonnière espagnole, à la fois dans l’écran et face à lui, n’est ici que le fruit d’une mécanique bien trop visible. C’est plutôt rageant car la séquence d’ouverture est une petite merveille laissant espérer quelque chose de bien plus maîtrisé, avec ce toue de magie réalisé par le personnage de Jesse Eisenberg qui fonctionne autant sur ses victimes dans le film que sur le spectateur. La sensation de s’être fait avoir est troublante, fruit d’une véritable manipulation de prestidigitateur, mais elle sera la seule de tout le film qui va ensuite se reposer sur des effets faciles. Insaisissables est une sorte de show venu de Las Vegas, quelque chose qui brille de mille feux pour mieux cacher la misère, car il n’y a rien de bien concret derrière le rideau de fumée. Pire encore, le film tombe dans des travers hollywoodiens franchement grotesques, notamment à travers tout ce qui concerne la relation surréaliste entre Mark Ruffalo et Mélanie Laurent, cette dernière s’imposant comme une des pires idées de casting de l’année en agent d’Interpol croulant tellement sous la masse de travail qu’elle a le temps de flâner tous les jours sur le Pont des Arts à Paris.
Insaisissables est le prototype de la grosse machine qui prend le spectateur pour un idiot, lui répétant en permanence à travers le personnage de Morgan Freeman – en roue libre – que ce qui va suivre va être de plus en plus grandiose. A l’arrivée, tout ça pour ça. Le script, et le film, est rempli de trous impossible à combler et d’incohérences bien visibles. Par exemple, à un moment donné le film nous montre le final d’un tour avec des millions de billets qui tombent du ciel, avec des plans d’insert montrant clairement, bien que rapidement, qu’il s’agit de faux billets. Cela pour essayer dans la scène suivante de provoquer la surprise en montrant qu’il ne s’agissait pas de véritables billets. Maladresse de montage ou foutage de gueule ? Difficile de trancher mais ce genre d’erreur se retrouve beaucoup trop dans Insaisissables. Manipuler le spectateur nécessite un travail minutieux, car la frontière entre manipulation et arnaque s’avère être très mince. Il s’agit donc d’un film pop-corn pas vraiment rigoureux, truffé de zones un peu floues et de mauvais choix qui le rendent très oubliable. On retiendra toutefois les prestations globalement solides de tous ces acteurs, à quelques exceptions près (Mélanie Laurent, toujours) avec un casting dominé de la tête et des épaules par un Jesse Eisenberg toujours aussi vif et un Woody Harrelson impérial. Mais là encore, le scénario fait en sorte de ne pas les construire pleinement, entre l’immense ellipse faisant suite au prologue et un dernier acte qui change de point de vue de façon un brin malheureuse. Difficile également de louer la mise en scène de Louis Leterrier qui en fait des tonnes pour épater la galerie. Incapable de filmer ses personnages autrement qu’en travelling circulaire et en contre-plongée, le systématisme de sa mise en images finit par épuiser. L’idée de filmer l’ensemble comme un gigantesque show, avec profusion de mouvements gigantesques, pour souligner le statut d’illusion toute hollywoodienne de l’ensemble tout en mixant la bande son beaucoup trop fort, n’est pas nécessairement mauvaise, mais à trop en faire tout cela perd de son sens. D’autant plus qu’il se montre un peu à la peine au moment de filmer quelques scènes d’action caméra à l’épaule, avec un résultat plutôt brouillon. Il faut dire qu’avec un scénario qui semble avoir sorti toutes les cartes de sa manches au bout de 45 minutes, avec un pseudo-climax qui brise les principaux enjeux dramatiques énoncés jusqu’alors, Louis Leterrier ne pouvait pas vraiment accomplir de miracle.