Sept ans après la relecture poussiéreuse de Bryan Singer, Superman se paye une nouvelle jeunesse au cinéma. Pour un des héros sans doute les plus complexes à illustrer, de par sa nature même et ses pouvoirs colossaux, il fallait bien une association aussi improbable que celle entre Zack Snyder et Christopher Nolan, deux auteurs aux univers à priori immiscibles. Et plutôt que de regarder vers le passé pour se frotter à l’œuvre fondatrice et indétrônable de Richard Donner, les nouveaux compères s’en détachent pour bâtir leur propre mythologie, avec juste ce qu’il faut de respect, et redonnent à l’homme d’acier ses lettres de noblesse.
Si le Superman de Richard Donner peut être fier de ne pas avoir pris une ride en 35 ans, trônant toujours au panthéon des films de super-héros, le mythe avait besoin d’un dépoussiérage, les différentes versions n’étant plus tout à fait raccord avec ce qu’est devenu le héros au fil des années dans les comics. Il fallait un œil nouveau, qui à la différence de Bryan Singer ne se contente pas de s’évertuer à reproduire le travail de Donner. Et c’est finalement assez logiquement que la renaissance de Superman passe par les plumes de Christopher Nolan et David S. Goyer, comme cela fut le cas avec Batman. Sans chercher par tous les moyens, à l’inverse de leurs camarades de chez Marvel, à créer un univers global de pacotille au détriment des personnages, les deux auteurs livrent avec Man of Steel leur vision propre de Superman, avec un retour aux bases. Superman est un extraterrestre envoyé sur Terre dans le but de créer un monde meilleur, un être supérieur qui bénéficie autant des pouvoirs liés à son origine que de son éducation terrienne, soit une sorte de demi-dieu qui n’est autre qu’un nouveau maillon dans la chaîne de l’évolution. C’est très simple et à la fois très sérieux, sans pour autant chercher à étayer une thèse à grands renforts d’éléments très sombres. Dans Man of Steel, Superman ne doute pas, il se construit et assimile ses différentes racines pour devenir le super-héros le plus puissant, un sauveur dont l’ombre christique est largement et justement appuyée.
33 ans, les bras en croix, cherchant éventuellement une réponse dans une église, le caractère religieux de Superman dans Man of Steel est très présent. Cependant, il est largement compensé par le discours darwiniste des scénaristes pour mieux bâtir leur mythe, qui n’est autre qu’une nouvelle entité, divinité pour les uns, héros pour les autres, fils, homme idéal… visiblement tout ce beau monde sait précisément de quoi il est question pour mieux aborder une figure sacrée. L’angle choisi fera apparaître Superman dans son nouveau costume au bout d’une heure de film environ, tandis qu’une grande partie du premier acte se concentre sur les évènements de Krypton. Zack Snyder se fait plaisir et y signe un space opera virevoltant qui produit un flot d’informations tel que l’overdose guette à chaque instant. Ce sont tout de même les racines du récit qui s’y jouent et elles ne sont pas toujours très claires, d’autant plus que Zack Snyder ne rate pas cette occasion d’en faire des tonnes et de (déjà) tout faire péter dans tous les sens. Et dès l’introduction se met en place une forme de dichotomie interne au film, entre les velléités de produire un spectacle monstrueux, du genre bigger & louder, et de l’autre de poser des bases solides en termes d’émotion et de construction des personnages. Cela crée un problème de déséquilibre assez logique malgré un film qui s’étire sur plus de 2h20, la dernière heure privilégiant essentiellement le grand spectacle. Il en résulte un aspect parfois chaotique au niveau de la narration qui jongle avec une multitude de flashbacks souvent très réussis. La grande force de Man of Steel est de dépeindre une vision de Superman à la fois moderne et ancrée dans la tradition, avec un code moral qui trouve ses fondations dans sa première transgression, et une construction vraiment précise du personnage. C’est bien là que se retrouve la patte des auteurs qui ont toujours soigné leurs personnages dans les moindres détails, quitte à se permettre moins de cohésion au niveau de l’intrigue générale. Il faut dire qu’en brassant dans un seul film les origines complètes du héros plus les évènements du présent, il aurait peut-être fallu en faire un film de plus de trois heures. De là à penser qu’une version plus longue finisse par voir le jour en vidéo il n’y a qu’un pas.
Mais ces réserves, problématiques en terme d’émotion (il y a énormément de Russell Crowe, pourtant très juste, et trop peu de Kevin Costner alors qu’il est clairement le vecteur émotionnel du film, dans une interprétation remarquable) et de structure, doublées d’une utilisation tonitruante et parfois maladroite du score de Hans Zimmer, ne parviennent pourtant pas à gâcher le spectacle. De la naissance, littérale, de Kal-El à celle, symbolique, de Superman, Man of Steel est un tour de force époustouflant. Zack Snyder, visiblement apaisé, a complètement revu sa boîte à outils de cinéaste et livre une quantité de morceaux de bravoure inattendus. Qu’il s’agisse de filmer l’intime, dans des séquences toujours très douces qui laissent toujours s’exprimer par des inserts l’environnement du jeune Clark, ou d’assurer le spectacle, le bonhomme a fait un bon en avant assez impressionnant. Finis les ralentis dans tous les sens pour laisser la place à une poignée de tics parfois agaçants (l’utilisation systématique du dutch angle et des flares donne parfois l’impression de voir un film de J.J. Abrams) mais noyés dans un dispositif bien plus colossal et solide. Exception faite de quelques séquences de combat qui peinent à trouver la bonne recette entre caméra à l’épaule et découpage un peu violent, Zack Snyder parvient à retranscrire à la perfection la sensation de toute-puissance qui émane de Superman. Il iconise son personnage avec un fétichisme permanent et trouve exactement l’approche pour illustrer sa prise pouvoir grandissante. Il fait tout l’inverse de Bryan Singer en n’oubliant jamais que son héros est avant tout une créature venant d’un autre monde, mais dont les valeurs morales sont le fruit d’une éducation humaine. Il y a d’ailleurs là un thème très fort qui parcourt Man of Steel, sans doute ce qu’il y a de plus réussi dans le personnage de Zod (par ailleurs involontairement ridicule à de nombreuses reprises avec un Michael Shannon tout en grimaces), la notion de morale qui différencie l’humain du monstre. Une notion absente d’un bad guy surpuissant dont la seule fonction est d’assurer la survie de son peuple. Il s’agit là d’un thème fascinant qui aurait presque mérité d’être encore plus creusé, tout comme les différents relents politiques qui ponctuent le film (la vision du Kansas plus américain que l’Amérique, la riposte armée sans vision claire de l’ennemi…). Le tout dans un film de super-héros qui est autant ancré dans ce genre que dans la science-fiction ou le film de guerre, voire le film catastrophe.
Car la grande force de Man of Steel, au-delà de sa compréhension de l’essence du personnage, au-delà de sa relecture intelligente du mythe, au-delà de l’interprétation remarquable et surprenante d’Henry Cavill qui s’avère être parfait pour le rôle, au-delà de la belle émotion qui découle des séquences avec Jonathan Kent ou d’une vision très juste de Loïs Lane, c’est son sens du spectacle. Les premières séquences donnaient le ton, tous les mouvements aériens de vaisseaux, les attaques et multitudes d’explosions, le tout shooté avec un vrai sens de la mise en scène dont les emprunts à James Cameron (les zooms avant-arrière ultra rapides en plein cœur de l’action) font toujours sens. Mais il faut voir cette dernière heure pour se rendre compte à quel point Man of Steel met la barre haut. Il n’y a rien eu d’aussi spectaculaire au cinéma depuis des lustres, car Zack Snyder met en scène une véritable guerre urbaine dans laquelle s’affronte les forces armées et des êtres dotés de super-pouvoirs. Le résultat à l’écran est un maelström pyrotechnique qui semble ne jamais vouloir s’arrêter, repoussant toujours les limites en terme de destruction massive. Et là, outre le fait que les images provoquent un inévitable épuisement chez le spectateur qui n’a pas une seule seconde pour souffler, Man of Steel réussit ce tour de force qui permet de rendre compte de l’affrontement entre créatures d’un autre monde en plein décor terrestre. C’est épuisant car tout explose dans tous les sens, les personnages traversent et détruisent des immeubles comme dans un anime japonais, les coups les balancent à des centaines de mètres, ils volent à loisir… concrètement, le final déjà impressionnant d’Avengers (la vraie réussite du film) fait un peu de peine à côté de ce qui est déployé ici. C’est un véritable choc des titans et par sa mise en scène et son découpage, Zack Snyder réussit à capter cela. Une mise en scène nécessairement chaotique car sa caméra cherche à capter le chaos, cherche à suivre des personnages qui se déplacent à une vitesse surhumaine, exactement ce qu’il fallait faire. Et le résultat est tout simplement impressionnant, comme si les planches d’Adam Kubert prenaient vie à l’écran. Aucune trahison du mythe mais une véritable renaissance, qui paye ses hommages au classique sans s’appuyer dessus, et qui bâtit intelligemment un Superman qui se construit à travers l’exploration de la limite de ses pouvoirs plus qu’à travers des sentiments humains. C’est très fort, comme la musique d’Hans Zimmer, excessivement spectaculaire, dépourvu de toute ironie, c’est toujours aussi sublime de voir ce surhomme voler, mais le film gagnerait à réintégrer des séquences visiblement laissées sur le banc de montage.