Lorsqu’un directeur de la photographie, qui plus est de films acclamés et de succès colossaux, prend la casquette de réalisateur, cela est souvent gage d’un film visuellement impeccable. Une sorte de minimum syndical, à défaut d’avoir droit à un bon film. C’est exactement le problème de Transcendance, premier essai de Wally Pfister, le directeur de la photographie attitré de Christopher Nolan, qui signe un objet cinématographique hautement raté ressemblant à du sous-Nolan au scénario inexistant.
La déception est de taille. Wally Pfister est l’artisan responsable de l’image des si beaux films de Christopher Nolan, mais également du Stratège de Bennett Miller. Pour son premier essai en tant que metteur en scène, après avoir côtoyé des réalisateurs-techniciens aussi pointus, il s’attaque directement à un récit aux prémices plutôt ambitieux : un film de science-fiction abordant le sujet classique mais toujours passionnant de l’intelligence artificielle et de la prise de pouvoir des machines. Le problème est qu’avec des films tels que Blade Runner, Terminator et sa suite et autres Matrix, comme modèles tutélaires, il est nécessaire de s’appuyer sur un scénariste se sortant un peu les doigts du fondement afin de proposer quelque chose de neuf et de solide en terme de narration. Tout l’inverse de la soupe régurgitée par Jack Paglen pour son premier scénario.
Avec un point de départ plutôt intéressant, à savoir l’esprit d’un homme mourant implanter dans une intelligence artificielle supérieure, Transcendance possédait de bonnes bases pour tisser un techno-thriller moderne passionnant. Le problème est tout d’abord qu’il s’agit d’une fausse bonne idée, l’intervention d’un esprit humain remettant en cause le principe même d’une intelligence artificielle autonome, mais surtout que tout ce beau petit monde rassemblé pour le projet ne sait pas trop quelle direction adopter. Le résultat est un film assez indigeste constitué de longs tunnels verbeux sans grand intérêt, où les personnages passent le plus clair de leur temps à expliquer ce qu’ils font et pourquoi ils le font. Tout cela afin de remplir les presque deux heures du machin quand une durée limitée à 50 minutes d’un épisode de série TV auraient largement suffi à étayer le même propos sans se perdre dans un mode de narration aussi chancelant. Un réalisateur de métier aurait su dégraisser un récit aussi pataud afin de non seulement lui imprimer un rythme mais également afin de lui donner une réelle direction. Malheureusement, Wally Pfister ne semble pas vraiment savoir dans quel sens il doit aller et se contente d’illustrer sans grande inspiration ce script boiteux.
La grossière erreur, ruinant toute implication possible et donc toute prise au sérieux de l’entreprise, vient de l’écriture des personnages. Ils sont à peu près tous scientifiques, soit le pragmatisme et la rigueur incarnés, mais sont incapables de tenir un discours raisonnés du début à la fin. Le pire traitement étant destiné au personnage incarné par Rebecca Hall, tristement transparente bien qu’elle soit le personnage principal du film, scientifique renommée tout aussi incapable de remettre en cause le moindre détail de la vaste manipulation qui a lieu devant ses yeux, que de savoir si elle a vraiment affaire à son mari ou à une illusion. Cela quand au même moment, il suffit de quelques secondes au personnage incarné par Morgan Freeman pour avoir absolument tout compris à la situation. Ceci dit, il est aisé de lui pardonner tant Wally Pfister semble également ne pas avoir la moindre idée de ce qu’il se passe dans son film, comme en témoigne sa propension à venir réfuter en permanence la thèse établie dans une scène précédente. Il n’y a rien de plus tragique et inefficace qu’un thriller de science-fiction qui ne sait pas où il va.
C’est d’autant plus ennuyeux qu’il ne se passe pas grand chose dans Transcendance. Entre les digressions inopportunes sur une sorte de secte/groupe armé à priori réactionnaire (mais qui détient en fait la vérité au détour d’un énième revirement de situation qui ne sert à rien) et le traitement empesé de la romance centrale qui ne fonctionne jamais, le rythme de la chose fait plutôt peine à voir. Il faut attendre le dernier acte pour qu’il se passe enfin quelque chose à l’écran, sauf qu’au terme d’une durée excessive, cela ne fonctionne pas. D’autant plus que Transcendance pioche alors allègrement dans à peu près tout ce qui a déjà été fait sur le sujet de l’intelligence artificielle et de ses dangers, à grands coups de clones, superhumains, régénération spectaculaire et montée en pression très « nolanienne ». C’est un peu le cœur du problème, le film de Wally Pfister possède parfois le goût du Nolan, très souvent la couleur, mais n’en touche jamais l’essence fondamentale. Même sa photographie, le réalisateur ayant sans doute imposé à Jess Hall de singer son travail chez le réalisateur de la dernière trilogie Batman, ressemble à celle d’une mauvaise contrefaçon. Il n’y a que trop peu de motifs de satisfaction dans l’ensemble. Johnny Depp joue dans une relative sobriété mais parait totalement détaché de toute implication émotionnelle, le reste du casting prouve qu’il a besoin d’un bon directeur d’acteurs pour s’exprimer (ils ont à peu près tous été dirigés par Christopher Nolan et étaient autrement meilleurs), et l’ensemble du propos se montre finalement très grossier. Wally Pfister se fait l’extension du discours conservateur de son réalisateur adoré (discours qu’il ne tient pas dans ses films) et assène un propos sur les dangers de la technologie sans la moindre finesse ou réflexion, pour n’aboutir que sur le néant. « La technologie c’est mal quand c’est entre de mauvaises mains ». Merci à Transcendance pour l’illumination, il fallait bien deux heures de temps pour en arriver là, dans un dernier élan de romantisme béat tout bonnement incompréhensible étant donné le peu de consistance et de rigueur de ce soufflet.