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Blue Ruin (Jeremy Saulnier, 2013)

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Pour son deuxième film, Jeremy Saulnier se penche sur le genre très codé du revenge movie qu’il va revisiter à la sauce « petit film indépendant pour ravir les festivaliers ». Le résultat est souvent très beau, parfois un peu ennuyeux, mais bénéficie d’une véritable identité visuelle qui permet de passer outre quelques faiblesses handicapantes.

Blue Ruin 1 Blue Ruin (Jeremy Saulnier, 2013)Avec le déjanté et bordélique Murder Party, Jeremy Saulnier plongeait dans le grand bain du long métrage. Un premier essai pas totalement convaincant suivi de quelques films sur lesquels il officia en temps que directeur de la photographie, notamment Putty Hill et I Used to Be Darker de Matthew Porterfield. Six ans après ce premier pas, le voici de retour avec Blue Ruin qui a fait le tour de plusieurs festivals pendant une bonne année après sa présentation à la Quinzaine des réalisateurs. Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi le film a su séduire nombre de sélectionneurs à travers le monde. Le film possède une véritable empreinte, un ton, une certaine forme d’originalité, qui en font une œuvre assez singulière.

Blue Ruin 2 Blue Ruin (Jeremy Saulnier, 2013)

Avec Blue Ruin, on n’est pas vraiment chez Charles Bronson. C’est même tout l’opposé. Persuadé de son intelligence, Jeremy Saulnier théorise du début à la fin sur la mécanique du revenge movie, ses relatives incohérences, ses choix les plus outranciers et le plaisir un brin pervers qu’il peut véhiculer. Pour cela, le réalisateur, également scénariste et directeur de la photographie, opte pour une approche très naturaliste et un script riche en détails du quotidien. Tout le premier acte n’est d’ailleurs que description de la vie de ce sans-abri hirsute et peu aimable, qui va révéler son personnage peu à peu, au fil du récit. Le personnage est extrêmement bien écrit, c’est d’ailleurs la grande force du film. Jeremy Saulnier ne laisse rien au hasard et va interroger la logique vengeresse liée au modèle du film de genre. Pour cela, c’est assez simple, il va poser des questions très pragmatiques, comme comment obtenir une arme à feu quand la décision de passer à l’action est prise et que le type est à la rue, comment se passe une agression à l’arme blanche et comment il est si simple de se blesser en la maniant, etc. Avec peut-être une pointe de cynisme, Blue Ruin est une entreprise de démystification du revenge movie, genre si souvent décrié (qualifié de fasciste, réactionnaire et autres appellations bien trop sérieuses pour un cinéma qui ne se prend pas tant au sérieux). Cela fonctionne parfois, et parfois moins.

Blue Ruin 3 Blue Ruin (Jeremy Saulnier, 2013)C’est un peu le problème quand un réalisateur ne peut cacher sa conviction d’être plus intelligent que son public et quand il ne s’appelle pas Michael Haneke. L’autrichien possède l’assurance jusqu’au-boutiste et la rigueur qui manquent à Jeremy Saulnier, ce qui amoindrit considérablement la portée de son propos. Sur cet aspect post-moderne, Blue Ruin ne convainc qu’à moitié. Mais l’impression est équilibrée par son aspect purement revenge movie, car il cède aux codes du genre et les exécute avec une certaine maestria. L’originalité de la chose vient évidemment de son traitement visuel qui intègre la plupart des codes du cinéma indépendant. Soleil bas dans le ciel, couleurs désaturées, séquences en clair-obscur, longue focale et « plans nuque », toute la grammaire des champions de Sundance depuis une éternité est au rendez-vous. Avec également ce rythme lancinant qui tranche avec le cœur du propos.

Blue Ruin 4 Blue Ruin (Jeremy Saulnier, 2013)

Blue Ruin peine un peu à décoller, à imprimer un véritable tempo à son récit. Jeremy Saulnier avance tranquillement, avec une confiance totale en son script. Sur ce point, en considérant le récit au premier degré, il se dévoile au fil des minutes avec suffisamment d’espace aménagé pour des surprises, à tel point qu’il parvient à créer une véritable attente. En effet, une fois passé le premier acte, difficile de savoir la direction que va adopter le film, ce qui le rend assez fascinant. Et ce même si au final, il fait des choix assez logiques, à la fois liée à la mécanique du genre et à ses thèmes souterrains, en particulier celui de la famille, qui finit par tout vampiriser. Plus qu’un revenge movie, Blue Ruin se révèle comme un véritable drame familial extrêmement cruel. Et si le film se montre très intelligent au moment d’aborder frontalement cette thématique, éclairant des monstres sous un nouveau jour, celui de l’humain, il ne fait finalement que rejouer une partition extrêmement classique et perd donc en originalité. Reste que le traitement très posé, très atmosphérique, son humour étrange (assez noir, parfois dans la veine des frères Coen) et ses éclairs de violence assez extrêmes en font une œuvre plutôt unique, mêle si loin d’être franchement exceptionnelle. Blue Ruin possède par contre un sérieux atout du côté de son interprète principal, Macon Blair, dans la peau d’un personnage très complexe et en perpétuelle évolution. Un beau petit objet cinématographique de festival, parfois original, parfois moins, mais qui bénéficie clairement d’un fort capital sympathie lié à son personnage principal qui sort des codes liés au genre, Jeremy Saulnier parvenant à créer une empathie toute naturelle. Dommage toutefois qu’il n’aille pas assez loin dans un sens comme dans l’autre, comme s’il n’avait pas l’assurance pour choisir entre vrai film de vengeance et vraie théorisation du genre.


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