Pour son deuxième long-métrage en sept ans, Olivier Panchot se lance dans le polar. Prenant la ville de Marseille comme décor, le réalisateur mêle guerre des gangs et drame familial sans chercher à faire dans l’esbroufe. De guerre lasse souffre malgré tout d’une mise en place au ralenti, victime d’une construction des enjeux à rebours, et dont les thèmes très forts auraient nécessité un traitement sur une durée plus conséquente pour éviter le survol.
Allez, on se dépêche ! Il ne reste plus qu’une semaine au cinéma français avant de laisser la place à la première déferlante de blockbusters qui vont se succéder sur tout le mois de mai. Qu’il s’agisse de raison ou de couardise, l’embouteillage de productions made in France ces quinze derniers jours témoigne d’une logique économique impitoyable. C’est dans ce contexte compliqué que sort De guerre lasse, appartenant à l’un des trois seuls genres qui subsistent encore chez nous. Le film d’Olivier Panchot n’est pas une comédie sur la colocation ou autour d’un barbecue, ni même un drame tiré d’un fais divers atroce, non. C’est donc dans le polar que se situe logiquement De guerre lasse, alors que son scénariste et réalisateur avait précédemment opté pour un drame. Son premier long-métrage, intitulé Sans moi, était passé plutôt inaperçu en 2007. Sept ans plus tard, il revient à la réalisation, signant également le scénario qui n’est pas une adaptation du roman éponyme de Françoise Sagan.
C’est à Marseille que le metteur en scène à décider de poser ses valises. Une scène idéale compte tenu du passé et présent criminel de l’agglomération. Néanmoins, De guerre lasse ne cherche pas à insister sur le thème de l’insécurité qui gangrène la cité phocéenne. C’est d’abord une histoire de famille, une histoire de clan dont le retour du fils déchu vient bouleverser l’ordre qui régnait. Après avoir moyennement convaincu en réalisateur d’Yves Saint Laurent en début d’année, Jalil Lespert incarne de manière convaincante cet ancien soldat de la Légion étrangère qui a déserté pour revenir auprès des siens. Mais Alex a doublement déserté il y a quatre ans après le meurtre d’un membre influent d’un gang rival. Son père, tenu par un Tchéky Karyo grabataire, n’est plus que l’ombre de ce qu’il était, après avoir tout abandonné pour maintenir une paix fragile. Il faudra cependant toute la première heure pour avoir une vision globale de tout ce qui se trame. Olivier Panchot distille les informations au fur et à mesure que le film avance jusqu’à une révélation capitale, quelque peu attendue, transformant son histoire en véritable tragédie shakespearienne. Cela étant, le réalisateur tient son sujet. Le tout ne sombre pas dans le grandiloquent et la surenchère. La référence au cinéma de James Gray n’est pas loin. Le drame reste à taille humaine.
Marseille y est la proie d’une lutte entre gangs, dont celui tenu par les corses semble avoir pris l’avantage. Les règlements de compte ne se font pas en fusillades débridées sur la place publique. Un coup de canif dans une ruelle poisseuse, un passage à tabac sur un terrain vague à l’abri des regards, la violence qui s’exprime est réaliste, jamais dans l’excès, si ce n’est un ultime coup d’éclat vengeur qui sort du lot sans pour autant trahir la logique générale. On notera l’absence problématique de la police qui, surtout chez James Gray, tient un rôle primordial. Ce seront surtout ces dernières minutes qui font gagner le film en ampleur. L’essentiel de la trame se construit lentement avec des caractérisations lacunaires. On ne prend pleinement conscience des enjeux que dans le troisième acte. Idéalement, il aurait fallut à Olivier Panchot une véritable fresque, dont De guerre lasse aurait été la deuxième partie. Oui, même si la production a assez bien dépensé les presque deux millions d’euros difficilement rassemblés pour boucler le budget. Vastes et profonds, les nombreux sujets importants que brasse le film ne restent traités qu’en surface. Les syndromes post-traumatiques, une guerre d’Algérie lointaine mais encore très présente, les lourds secrets de famille, on ne doute pas un seul instant de la générosité d’Olivier Panchot dans son scénario. Mais à vouloir tout aborder, le long-métrage s’éparpille.
On passe aussi bien de Voyage au bout de l’enfer à La Nuit nous appartient, formant un patchwork précaire encore pavé de zones d’ombre. Bien que cela soit suggéré par un montage sonore d’effets stridents et de dissonances, la désertion et le retour d’Alex de la Légion étrangère restent flous. Le polar français contemporain est lui aussi contaminé d’une photographie typée. Ainsi, la présence de Thomas Hardmeier (qui avait fait un travail admirable sur Yves Saint Laurent) semble vaine. Le chef opérateur se restreint à de la désaturation, aux tons bleu-gris habituels, alors que les rives de la Méditerranée se prêtent tellement mieux à un visuel moins hivernal. On pourra saluer un casting dans l’ensemble réussi. Si tous les personnages ne présentent pas toujours suffisamment d’aspérité pour s’attacher à chacun d’entre eux. L’essai est toutefois transformé et De guerre lasse est un polar honnête qui tient la route. Tournant sur un nombre de copies réduit, souhaitons que ce long-métrage porté à bout de bras trouve son public grâce à une bonne promo éclair de dernière minute.