Derrière sa façade hipster clinquante et un casting novateur convaincant, le propos ouvertement misogyne de La Crème de la crème s’avère proprement scandaleux. Le jeunisme de l’entreprise ne suffira pas à excuser son manque total de respect envers la condition féminine et l’expérience larvaire de Kim Chapiron lui empêche toute comparaison avec The Social Network qui l’obsède dans chaque séquence. Sinon dans le cas contraire, nous aurons appris grâce à son dernier film que toutes les femmes sont des putes. Merci bien.
Pourquoi la génération Kourtrajmé est-elle encore considérée comme la nouvelle garde du cinéma français ? Certes, Mathieu Kassovitz, Romain Gavras et Kim Chapiron n’ont pas fait des long-métrages faisant partie du commun des productions nationales. Du genre, des succès et des échecs. On aime pouvoir se rassurer en se disant qu’il existe encore un cinéma de genre en France, qui donnerait un semblant de contraste pour se justifier du manque formel de diversification des films produits par chez nous. Cependant, il ne suffit plus aujourd’hui d’être issu d’une caste culturelle pour pouvoir prétendre à la même image glorieuse que ses parents, d’autant plus si on se donne la fausse image d’un cinéma issu des banlieues sensibles. Avoir la carte ça aide un temps, mais la supercherie ne tient pas éternellement. Le cas de Mathieu Kassovitz se prenant pour Cecil B. Demille sur le tournage de Babylon AD en était le plus cruel des exemples.
Au contraire, il y avait alors un petit espoir en ce qui concernait Kim Chapiron. Son premier Sheitan avait été un délire entre potes qui avait surtout fait kiffé les initiés de Kourtrajmé. Il y a trois ans, le réalisateur avait su capter l’attention avec une mise en scène et une direction d’acteur solides avec le film carcéral Dog Pound (Prix du Meilleur nouveau réalisateur du film narratif au Festival du film de Tribeca à New York). Cette expérience anglophone nous donnait un espoir quand à la suite de la jeune carrière de réalisateur de Chapiron. Nous étions loin d’imaginer un tel retour de bâton avec La Crème de la crème. À bientôt 35 ans, il est encore obsédé par la jeunesse. Après avoir fait passer la version black-blanc-beurre par la campagne horrifique et la case prison, c’est celle des Français de souche et de l’élite internationale qui se veut d’être observée dans son microcosme, avec ses excès, ses dérives, enfin on connaît la chanson. Un milieu dans lequel argent et pouvoir entremêlés sont les seuls enjeux. Le propos voulu transgressif du film vient de l’idée d’introduire le sexe comme valeur marchande au sein d’une prestigieuse école de commerce. Les faits divers relatant des soirées d’intégration qui dérapent dans de grandes institutions scolaires, en France comme ailleurs, sont légion. On ne compte plus le nombre de magazines qui en ont fait leurs choux gras pour effrayer les parents sur la vie débridée d’une jeunesse à la dérive. Néanmoins, Dog Pound l’ayant mis sur orbite, Kim Chapiron se prend aujourd’hui littéralement pour David Fincher et cherche à nous vendre son Sexual Network comme un film majeur du cinéma français.
Pour ses personnages, l’école n’est pas là pour leur apprendre quoi que ce soit. Il s’agit de se construire un réseau par les relations que l’on s’y fait et pour cela il est nécessaire, voire vital, de faire partie d’un club (similaire au fameux système des fratries anglo-saxonnes). Le BDE, le club de rugby… Le choix est large mais l’accès est restreint. Et si on veut baiser, il faut faire partie de ces groupes. CQFD. Après quelques diatribes socio-économiques, ce seront des répudiés des autres coteries qui s’unissent pour renverser la popularité à leur avantage et fonder leur propre club. Un club dont le seul but est de bâtir un système d’escort girls pour les étudiants ringards et puceaux, d’abord au sein de l’établissement, puis allant trouver de nouveaux clients (dans des écoles d’ingénieurs remplies de boloss difformes et boutonneux). Pourquoi pas. Le client est roi. Cependant, pour éviter la faillite dès le premier trimestre, la rentabilité du système repose sur une chose essentielle : les filles. Les vraies escorts étant trop chères pour des étudiants, Kelliah (Alice Isaaz) sait où trouver des volontaires. Caissières à Monoprix, vendeuses chez Sephora ou distribuant des prospectus devant une gare, les pauvres trimeuses seraient prêtes à vendre leur corps en échange d’une bonne soirée alcoolisée et d’une quarantaine d’euros pour le taxi. Toutefois, cette vision cynique de la précarité va ensuite bien au-delà d’un minimum de bon sens. Aucune, et il faut bien le répéter, aucune de ces filles achetées avec des étoiles dans les yeux ne refuse l’offre. Toutes cèdent à l’attrait de l’expérience, puis à l’appât du gain. L’affaire est d’ailleurs tellement sympathique qu’elles convainquent même leurs copines de s’y mettre aussi pour arrondir les fins de mois difficiles.
À l’heure où les sites de rencontre avec des services d’escort girls pullulent sur Internet en profitant d’un vide juridique, ce regard dégradant que porte Kim Chapiron sur les femmes est absolument indigne. La Crème de la crème essaie pourtant de se trouver des excuses sans le dire. Ces jeunes qui s’imaginent déjà comme les rois du monde ont aussi des sentiments et il est évident que l’amour et le sexe tarifé ne font pas bon ménage très longtemps. À un moment il faut choisir. Grande sera la déception de Dan (Thomas Blumenthal) lorsqu’il comprendra qu’elle préfère être prostituée que sa copine. Les femmes sont vénales, c’est bien connu. Car ce seront celles qui ne profitent pas de ce système qui iront le dénoncer et, comme par hasard, c’est à ce moment où tout part à volo que ces proxénètes en herbe s’inventent soudainement une conscience. Certains vont jusqu’à interpréter La Crème de la crème comme une sorte de prequel au génialissime Loup de Wall Street. Il faut quand même remettre les choses à leur place. Quand chez Martin Scorsese les personnages se voient menacés, ils s’enfoncent encore plus loin dans leur folie et ne retournent pas leur veste au dernier moment (et il y avait des femmes fortes qui ne se laissaient pas faire). C’est ce que propose le malhonnête La Crème de la crème qui n’assume pas jusqu’au bout sa connerie. Il choisit même d’esquiver toute explication avec un final qui se fout tout bonnement de son spectateur. D’autres préfèreront s’étaler sur la cool attitude du film avec les caméos des copains (Justice, Kavinsky, Mouloud Achour) et la bande originale nous avance que Michel Sardou, Claude François et Carla Bruni sont incontournables chez les jeunes riches. La seule tristesse du long-métrage sera pour son casting prometteur et téméraire qui vient de brûler ses ailes trop vite dans un projet particulièrement douteux et honteux.