Pour son cinquième long-métrage, Frédéric Schoendoerffer signe un bon téléfilm. Malgré la promesse d’un duel au sommet entre Gérard Lanvin et Niels Arestrup, 96 heures ne parvient jamais à tromper l’ennui dans lequel le récit s’enferme progressivement. Pourtant cantonné dans le polar mais sans cesse en perte de vitesse, le réalisateur français n’arrive pas à tirer le meilleur parti du huis clos pour créer la tension et se perd loin des hautes références cinématographiques du genre auxquelles il aspire.
S’il y a bien un genre qui perdure encore aujourd’hui dans le cinéma français, c’est bien celui du polar. Durant les quinze dernières années, Frédéric Schoendoerffer s’y est spécialisé. Aussi bien au cinéma qu’à la télévision avec la série Braquo, le réalisateur ne démérite pas de son envie de persister dans ce domaine qui sied toujours aux producteurs de chez nous. Après, bien entendu, il y a polar et polar. Et on ne peut pas dire que le fils Schoendoerffer réussisse aussi bien sa carrière dans le genre qu’il a épousé que son père dans celui du film de guerre (la présence d’un poster de Dien Bien Phu dans le bureau de la brigade de répression du banditisme n’étant pas due au hasard). Pourtant, son premier Scènes de crimes sorti en 1999 était plutôt convainquant, nommé au César de la Meilleure première œuvre. La descente qualitative sera lente et progressive. Dans cette logique, 96 heures marque un nouveau minimum syndical de l’inexorable débâcle artistique de Frédéric Schoendoerffer.
Ce dernier semble malgré lui de moins en moins fait pour le grand écran. Cela n’empêche pas néanmoins de rendre son dernier projet attrayant. Énième face à face entre un flic et un malfrat en huis clos certes, mais savoir que le duo principal est incarné par Gérard Lanvin et Niels Arestrup a de quoi en faire saliver certains. Honneur soit rendu à la sobriété de l’affiche, dont la simplicité du noir et blanc lui donne toute son efficacité. Il sera également question de sobriété dans la mise en scène de 96 heures, si ce n’est qu’à trop tirer sur la corde on aboutit à un résultat sans aucune saveur. Tandis que son précédent Switch s’orientait plus vers la course-poursuite et la multiplication des lieux, Frédéric Schoendoerffer s’enferme ici avec ses acteurs dans une grande maison moderne de la banlieue parisienne où l’essentiel de l’histoire se jouera. Néanmoins, pour éviter de devoir travailler dans ce seul décor, le long-métrage n’hésitera pas à faire quelques infidélités au huis clos et s’attarder sur les personnages féminins qui subiront les dommages collatéraux de cette sombre affaire. Or, comme le laissaient à penser pas mal de choix douteux dans sa mise en scène de l’action dans Switch (l’usage malvenu de bodycams dans une poursuite à pied souhaitée à la Jason Bourne), le réalisateur à tout autant de mal à se dépêtrer dans un décor restreint. Faisant mentir André Gide qui disait que « l’art nait de la contrainte », Frédéric Schoendoerffer ne semble pas savoir où placer sa caméra. Conduisant le patron de la BRB à la cellule de Kancel, on a la terrible impression que les gardiens sont perdus dans leur propre prison.
96 heures est le cinquième long-métrage du réalisateur et ce type d’erreur, digne d’un débutant, devrait être loin derrière lui. Il est triste de constater que sa maîtrise s’étiole au fil du temps, se sclérosant aussi bien dans des tics de mise en scène (depuis Truands, ses ouvertures se font toutes dans le flou) ou se brouillant inutilement avec des effets parasites qui n’ont pas leur place au cinéma (des zooms brutaux, typiques des séries télévisées). La photo trop naturelle n’aide pas beaucoup non plus à rendre le film plus cinématographique. Le chef opérateur Vincent Gallot a encore besoin de temps pour la transition au tout numérique. Lui qui avait rendu une image plutôt honnête sans être transcendante pour Switch (sur pellicule), il ne semble pas avoir encore l’expertise suffisante sur la nouvelle caméra F65 de Sony et donne à voir pendant 96 minutes un téléfilm en cinémascope. Le son n’est pas non plus à la hauteur avec un mixage parfois aberrent. Lorsqu’au rez-de-chaussée Kancel règle violemment ses comptes, au sous-sol les coups de feu entendus font plus penser à des coups de canon. Pour la bande-originale, Frédéric Schoendoerffer commet sa première infidélité au compositeur Bruno Coulais. Malheureusement, le travail envahissant de nappes sonores de Max Richter ne fait qu’alourdir un tout déjà pesant.
Si ce n’est que pour un final poussif, le réalisateur use très rarement de plans serrés et nous éloigne sans le vouloir de ses personnages. Une galerie très codifiée par le genre qui se repose essentiellement sur les deux têtes d’affiche. Bien que Frédéric Schoendoerffer a pensé son casting avec le bon souvenir du grand cinéma policier français des années 1960-70 (avec des Jean-Paul Belmondo ou des Jean Gabin), la comparaison n’est pas très flatteuse pour son 96 heures. Les gueules que sont censés représenter Gérard Lanvin ou Niels Arestrup font déjà vu. Pouvant sortir des répliques qui claquent comme des conversations stériles de culture générale, les dialogues aimeraient pouvoir tendre vers du Audiard. Pour ce qui est des personnages secondaires, la situation est plus préoccupante. En dehors de Sylvie Testud, qui comme les deux acteurs principaux connaît un peu le métier d’acteur, le dernier long-métrage de Frédéric Schoendoerffer est à nouveau le théâtre de la gestion calamiteuse des seconds rôles, symptomatique chez le réalisateur. Anne Consigny et Laura Smet sont éteintes. C’est cabotinage à tous les étages pour tous les autres, aussi bien pour Pierre Kiwit et Jochen Hägele en malfrats d’Europe de l’Est, que pour Cyril Lecomte en avocat de Kancel. Même le jeune garçon qui incarne le petit-fils de Kancel n’arrive pas à feindre une émotion. Personne n’est épargné et on a du mal à éprouver quoi que ce soit pour tous ces protagonistes. On reste désespérément très loin du cinéma de Jean-Pierre Melville ou Henri Verneuil.