Le thriller à tendance paranoïaque a de nouveau le vent en poupe. Dans l’ombre du mastodonte La Taupe, véritable leçon en la matière, naissent quelques petits rejetons dont ce Closed Circuit à la sortie plus que discrète. Le nouveau film du réalisateur de Boy A est très imparfait et ne marquera probablement pas les mémoires. Pourtant il possède, à défaut d’une vraie personnalité, une certaine audace dans son approche du genre.
John Crowley a largement prouvé avec Boy A qu’il était capable de gérer un drame s’appuyant sur un personnage très fort. Avec Closed Circuit il vient mettre à l’épreuve cette faculté dans un tout autre registre : celui du thriller moderne à tendance paranoïaque. Un genre dans l’air du temps, qui s’endort et s’éveille selon le niveau de terreur en cours à l’international et qui ravive la vieille angoisse de la guerre froide. A travers ce script signé Steven Knight (Les Promesses de l’ombre, Dirty Pretty Things et Crazy Joe), c’est une peur vieille d’une bonne dizaine d’années qui refait surface, à savoir celle des attentats londoniens de 2005 auxquels toute l’intrigue fait bien évidemment écho. Mais plus qu’une piqure de rappel sur la vulnérabilité d’une des villes les plus importantes du monde, John Crowley cherche à faire se marier deux éléments complexes à mettre en œuvre, sans vraiment y parvenir.
Il y a un concept derrière Closed Circuit, à la fois très simple et qui semble en même temps poser d’énormes problèmes dans sa mise en œuvre. L’idée est de suivre le schéma classique du thriller, autant dans son mode de narration que dans les éléments qui le composent, mais de l’articuler autour de personnages qui seront construits à travers une relation passée regrettable. Et non à travers une exposition de personnages classique. Le concept ne manque pas d’audace et vient faire entrer une forme de romance contrariée et destructive au sein de la structure d’un thriller dont l’intrigue s’avère on ne peut plus banale. Les bonnes idées ne menant pas nécessairement à des bons films, le résultat n’est pas à la hauteur de cette ambition et ne dépasse malheureusement jamais le cadre du thriller lambda avançant son intrigue à tiroirs selon une logique bien précise et peu surprenante. Il faudrait s’être littéralement coupé du genre depuis 10 ans pour ne pas voir venir la somme de trahisons et de retournements de situation, éléments d’une artificialité presque agaçante tant ils ne bénéficient d’aucune originalité. Tout l’inverse des promesses de la toute première séquence, une ouverture d’une intelligence remarquable pour filmer l’attentat et les minutes le précédant à travers un réseau de caméras de sécurité formant à l’écran une mosaïque d’images assez géniale comme outil narratif. Gestion de l’espace de l’action, de la tension, du tempo. Tout y est réuni et ne reste ensuite utilisé que comme gimmick inoffensif pour illustrer d’autres séquences.
Ce recours à l’image de surveillance, proposant une texture bien plus crade et apportant donc une nouvelle matière filmique à l’intrigue, n’est donc pas exploité. Tout reste en surface, signe d’un film qui ne s’appuie que sur son aspect le plus artificiel. De la même façon, l’originalité de Closed Circuit venant de la relation entre ses personnages principaux d’avocats, ayant eu une liaison qui a détruit leur couple, étant interdits de toute communication pour leur mission, ne fonctionne pas. Cette romance, plutôt que de s’intégrer logiquement au récit et de participer à créer des personnages, ressemble à une pièce rapportée qui vient nuire à la logique interne de l’intrigue. Aucune empathie, aucune émotion, et le final ne s’appuyant que sur cet élément n’en est que plus inapproprié.
Pourtant, même s’il finit par sérieusement manquer de singularité, voire même d’identité, Closed Circuit reste un produit d’une élégance telle qu’il bénéficie d’un véritable atout. John Crowley ne fait pas dans l’épate et, au contraire, avance tout en retenue, faisant étal d’un réel savoir-faire en matière de mise en scène. Pas d’effet de style toc, évidemment, mais une maîtrise totale des outils classiques et une certaine aisance à ménager des zones de tension dans sa grammaire. Une faculté qui lui permet de construire un climat paranoïaque sur son film, de lui donner forme à l’écran, de façon bien plus intéressante qu’à travers ces dialogues pompeux de personnages qui vont presque jusqu’à se faire peur tous seuls. C’est un des problèmes de Closed Circuit, la notion de paranoïa ne nait pas toujours naturellement et parait donc, parfois, totalement artificielle. C’est l’élément qui fera que le film ne restera visiblement dans aucune mémoire car il participe à son statut de thriller lambda qui ne peut s’appuyer que sur sa relative beauté plastique, sa lumière glaciale et sa construction inutilement tarabiscotée. Il manque à Closed Circuit un certain impact et une forme d’identité qui lui fait douloureusement défaut. C’est dommage, car le trop rare Eric Bana et Rebecca Hall livrent des performances très solides, même s’ils peinent parfois à laisser tomber le masque de l’angoisse paranoïaque, et que John Crowley semble avoir quelques idées très modernes sur le cinéma et pour apporter une nouvelle dynamique à un genre très codifié.
Dommage également car, avec une bonne dose de cynisme qui, pour sa part, s’avère tout à fait approprié, Closed Circuit apporte un regard corrosif et désabusé sur le fonctionnement des institutions d’état et de la justice au royaume de sa majesté qui ne manque pas d’intérêt. Rien de bien original à ce niveau non plus, la manipulation des différentes strates du pouvoir faisant partie intégrante du genre depuis sa création, et encore plus depuis la guerre froide, mais cela est assez finement traité. De plus, il faut se réjouir de voir que le genre reste une sorte de vecteur contestataire, même quand il ne brille pas autant qu’il le voudrait ou que le propos reste traité en surface.