Tout en gardant une activité non négligeable dans le domaine du documentaire, Kevin Macdonald est en train de bâtir, tranquillement mais surement, une œuvre de fiction assez remarquable. Après le biopic, le thriller politique et le péplum, il s’essaye cette fois au film d’anticipation et, comme pour les précédents, brille par sa sa liberté de ton et une véritable vision de conteur et de metteur en scène. How I Live Now n’est pas un grand film et souffre de menus défauts, mais c’est un objet de cinéma fascinant d’intégrité à l’identité forte.
A l’inverse de tous ces tocards persuadés qu’il suffit d’agiter leur caméra dans tous les sens pour imprimer un « style » documentaire à leurs films, Kevin Macdonald est, comme Paul Greengrass, véritablement issu du documentaire et en maîtrise parfaitement les codes. Et bien entendu, cela change tout dans son approche de la fiction et dans son rapport au réel, comme il l’a prouvé sur ses trois précédents films. Avec How I Live Now (Maintenant c’est ma vie), il se prête à un exercice encore plus complexe, en adaptant le roman d’anticipation de Meg Rosoff. Il n’y a cette fois aucun fait réel sur lequel s’appuyer pour construire cette histoire de troisième guerre mondiale. Mais qu’importe, tout tient dans l’originalité du traitement, dans l’œil d’un cinéaste qui refuse catégoriquement tout cynisme et embrasse littéralement son sujet : une romance adolescente sur fond de naissance d’un conflit à l’échelle internationale. Il y avait tout pour qu’il trébuche, et il s’en sort haut la main.
Une adolescente rebelle, en conflit avec l’autorité parentale, perturbée, envoyée pendant quelques temps dans la famille rurale. Un personnage insupportable qui va rapidement tomber amoureuse du Charles Ingalls. Un environnement d’enfants des bois plus ou moins livrés à eux-mêmes dans une bâtisse façon hippies des temps modernes. Des mamours dans la grange, une excursion au plan d’eau du coin… à peu près tous les éléments d’une imbuvable romance adolescente sont présents. Et pourtant, How I Live Now ne parait jamais artificiel. Cela grâce à l’approche très premier degré de Kevin Macdonald qui n’impose aucune distanciation avec ses personnages, adopte une mise en scène immersive et discrète, et construit un univers logique avec subtilité. La beauté de son dispositif tient dans le fait qu’il n’est pas adepte de la lourdeur et préfère faire confiance à la « magie du cinéma », cette science imparable qui mise tout sur l’esprit du spectateur en lui donnant une image, même furtive, qui lui permettra de construire sa propre histoire. Sans jamais s’appesantir, Kevin Macdonald parvient avant tout à faire naître à l’écran un véritable sentiment amoureux, qu’il va largement malmener par la suite.
En effet, How I Live Now n’est une belle romance que dans son premier acte. Assez rapidement, le film prend la direction d’un film de guerre d’un genre nouveau, mettant à profit ses peu de moyens pour servir une véritable audace dans le traitement. La troisième guerre mondiale fait partie intégrante du récit mais n’intervient que très rarement dans le cadre, ou même dans les dialogues. Le pari, plus que payant, de Kevin Macdonald, est de traiter le conflit comme une ombre qui plane sur les personnages, ou du moins ce qu’il reste de cette structure de personnages, éclatée au moment où elle atteignait une forme d’harmonie. Pour cela, il articule la suite du film autour des personnages de Daisy et Piper, mais plus particulièrement la première qui va prendre une ampleur considérable dans ce qui n’est finalement rien d’autre qu’un cruel récit initiatique dans lequel une adolescente instable va apprendre à devenir une adulte responsable.
Porté par une Saoirse Ronan toujours plus surprenante, film après film, How I Live Now développe ainsi un récit d’anticipation singulier, dont le ton se montre parfois très proche de celui des Fils de l’homme ou de La Route, à savoir qu’il prend racine dans des personnages plus que dans un environnement général. Et le tout avec donc une forte sensibilité. C’est la rançon de personnages extrêmement bien écrits, mais surtout d’une intelligence remarquable dans la mise en scène. Cette subtilité de Kevin Macdonald permet de poser des enjeux globaux en quelques plans, parfois de simples inserts. Un mouvement sur des avions de chasse, quelques cendres, un visage qui se retourne, et cela suffit. Le dispositif est bien plus efficace que de longues digressions sur des combats ou les détails d’une attaque. Il suffit d’en montrer les conséquences par de simples détails pour que tout le décor prenne forme et impose sa chape de plomb sur l’ambiance du film, entre mélancolie et espoir, toujours très lumineux mais parfois très cruel. Kevin Macdonald croit en ses personnages et se montre en confiance totale au niveau de sa dialectique cinématographique, et le résultat s’avère souvent remarquable car naissent des sentiments totalement naturels qui ne peuvent être remis en cause par le spectateur. De plus, cette façon de traiter un conflit sans le montrer véritablement est d’une justesse et d’une intelligence qui impressionnent, ne serait-ce que par le courage de la démarche.
Et si How I Live Now reste imparfait, notamment à cause d’une narration qui n’a rien de follement original, de visions à l’esthétique peu engageante, d’un George MacKay qui peine à sortir de l’image de sous-Jamie Bell, ou d’une trame qui ne peut finalement pas se détacher des motifs classiques (toutes les étapes de prise de conscience de Daisy et ses rencontres répondent à un canevas très précis et déjà vu des milliers de fois), il n’en reste pas moins une belle petite réussite. Kevin Macdonald parvient à traiter son sujet avec cet habile mélange de douceur et de désespoir nécessaire. Il se tient surtout à son concept et ne le lâche jamais, et ce jusqu’à un final doux-amer impressionnant de lucidité. Un bien beau film qui confirme que même s’il ne bénéficie pas d’une aura remarquable chez le public ou les cinéphiles, Kevin Macdonald est un des réalisateurs contemporains parmi les plus intéressants.