Après sa version du Petit poucet n’ayant pas eu droit aux honneurs du grand écran en France, hors festivals, l’étrange Marina de Van y revient enfin avec Dark Touch, son premier film en langue anglaise et son premier film d’horreur pur et dur. De facture plutôt classique et dans une approche d’un premier degré salvateur, son quatrième long métrage investit les terres du film de maison hantée et d’enfants maléfique avec respect et jusqu’au-boutisme, dopé par un dernier acte étonnant de furie.
Depuis l’éprouvant et magnifique Dans ma peau, le cinéma de Marina de Van réalisatrice tutoie l’horreur dans sa veine cinématographique la plus européenne. Avec Dark Touch, cette artiste hors normes et bien trop rare embrasse littéralement le genre pour livrer ce que toute excellente série B se doit d’être : composer avec les attentes du public de ce genre de film (ne pas toiser le genre ou ironiser sur lui, en assimiler les codes) pour en tirer un vecteur de propos important, voire grave. Le cinéma de Marina de Van étant consacré, consciemment ou non, à l’identité perdue et aux personnages poussés vers des situations extrêmes pour recomposer leur environnement, il n’est pas étonnant qu’elle s’attaque cette fois aux enfants abusés par leurs parents, image terrible et séminale du vol d’identité.
Pour ce faire, à la manière des films d’horreur les plus intelligents qui soient, Marina de Van va exploiter la mécanique du genre dans le seul bu d’étayer un propos. Cela à travers l’utilisation massive d’une symbolique horrifique à la rencontre des sous-genres. Dans ses premiers instants, Dark Touch ressemble à d’innombrables films de maison hantée et de possession, donnant vie au lieu de résidence de la famille de Neve ainsi qu’aux objets qui le composent, les transformant en armes mortelles. Le développement est des plus classiques, jusqu’à ce que le cœur du propos, sous forme de visions cauchemardesques, flashbacks à l’apparence presque irréelles, troublant la perception de la réalité, vienne éclabousser l’écran. Cinéaste sensible et subtile, Marina de Van ne joue pas sur la frontalité des effets mais préfère judicieusement la suggestion, outil formidable pour aborder la pire des horreurs, celle issue de l’être humain dans sa nature la plus monstrueuse. L’horreur dans Dark Touch prend racine dans le drame pur et dur, et provoque des manifestations surnaturelles. Le film prend rapidement la direction d’un film d’enfant maléfique aux pouvoirs télékinétiques, mais à l’inverse de Carrie, il ne s’agit pas ici d’une nouvelle allégorie sur le passage à l’âge adulte. Il s’agit d’une manifestation, voire carrément d’une somatisation, rapport à un trouble psychique.
L’intérêt de cette approche réside dans le fait que Neve ne contrôle pas son pouvoir, qui s’exprime de façon totalement libéré lors de ses accès de colère. Et ce de la même façon qu’elle ne contrôle pas son existence, détruite par les actes troubles de ses parents capables de passer d’un acte monstrueux à un acte d’amour en si peu de temps. Derrière le genre, qu’elle embrasse complètement et sans recul ou second degré, Marina de Van traite d’une triste réalité et des conséquences purement psychologique de la pédophilie. Et ce même si ses images laissent planer un semblant de doute, il s’agit bien d’analyser en profondeur les séquelles de ce type d’acte chez l’enfant, qu’elle va accompagner dans une quête expurgée de toute notion morale puritaine.
C’est là que s’exprime la nature profondément européenne de Dark Touch. Si l’ensemble aurait très bien pu provenir d’un film américain, le dernier acte ne laisse planer aucun doute. Tout le parcours de reconstruction de Neve, à travers une série de personnages secondaires échappant à tout manichéisme, mais dont la pure bonté ne peut rien face au trauma de l’enfant, est un petit modèle du genre. Tout simplement car Marina de Van ne tombe pas dans les clichés habituels du genre et ses personnages fonctions échangeables d’un film à l’autre. Même si bien entendu, c’est l’évolution de Neve qui concentre l’essentiel du propos. Une prise de conscience à travers un discours dont l’espoir s’efface progressivement. Ainsi, si globalement Dark Touch tient de la série B horrifique solide mais sans véritable éclat de génie, et ce même si la démonstration reste d’une intelligence remarquable, c’est dans son dernier acte, terrible, que le film prend toute son ampleur. L’œuvre devient alors un précipité de noirceur et de nihilisme, osant tordre littéralement toute notion morale, et créant dès lors un personnage central bien plus complexe qu’il n’y parait.
Ce qu’ose Marina de Van, c’est crier haut et fort qu’il n’y a pas d’échappatoire, que des parents qui abusent de leur enfant le détruisent pour de bon et que la seule libération possible reste difficile à accepter d’un point de vue moral. Ce courage dans le propos, l’interprétation électrique de la jeune Missy Keating, la superbe photographie toute en clairs obscurs de John Conroy, son atmosphère presque putréfiée et une mise en scène totalement maîtrisée qui explose littéralement le temps de véritables tours de force graphiques (les manifestations des pouvoirs de Neve, le final), font de Dark Touch une série B plus intelligente que la moyenne et un film d’horreur qui, s’il ne révolutionne pas le genre, l’aborde selon un angle qui ne manque pas de personnalité.