Changement de braquet radical pour Jérôme Salle, qui après deux Largo Winch se penche sur l’adaptation du roman Zulu de Caryl Ferey. Non seulement il signe, de très loin, son meilleur film à ce jour, mais il accouche surtout d’un polar extrêmement tendu sous forme de plongée ultra immersive dans la triste réalité d’une Afrique du Sud en proie à toutes sortes de violences. Noir, radical, et en même temps très spectaculaire, Zulu est une sacrée surprise.
Zulu est un roman noir, violent, très cru, qui scrute avec détails la réalité d’une Afrique du Sud dont les plaies béantes laissées par l’apartheid suintent encore. A priori, difficile d’imaginer Jérôme Salle, devenu en trois films une sorte de spécialiste du James Bond à la française, sur l’adaptation d’un tel roman. Pourtant, force est de constater qu’en s’engageant dans un cinéma de genre plus hargneux et moins bling bling, il trouve ici de quoi faire évoluer son cinéma dans le bon sens. Nul besoin de préciser qu’il signe là son meilleur film, parvenant autant à capter tout ce qui faisait l’essence du roman qu’un véritable esprit du polar à l’ancienne. Pas ou très peu d’humour, une violence frontale et sans tabous, des personnages complexes et pas toujours très aimables, le tout bénéficiant d’un traitement viscéral et sans chichis. Zulu n’est pas un film parfait, loin de là, mais c’est une proposition à la fois très sincère et très efficace, façon polar énervé des 70′s, le genre de film qui laisse un arrière-goût de sang et de larmes.
Il sera possible, même si cela ne s’avère que peu justifié, de reprocher à Zulu son traitement succinct de l’apartheid. Cependant, il ne s’agit pas vraiment de son sujet. Il s’agit plus ici de proposer une autopsie d’un pays qui souffre encore de cette période trouble en suivant le parcours de deux êtres détruits de l’intérieur, deux être qui sont par ailleurs censés représenter l’autorité policière. Jérôme Salle et Julien Rappeneau, pour leur troisième collaboration, articulent leur récit autour d’un motif de buddy movie plutôt classique, bien qu’expurgé de toute forme d’humour. En mettant côte à côté, même s’ils ne partagent que peu de scènes ensemble, Forest Whitaker et Orlando Bloom, et en travaillant au corps leur caractérisation, Zulu reproduit un schéma assez proche de celui de L’arme fatale. D’un côté le flic noir, posé, expérimenté, et de l’autre le jeune chien fou, blanc, en proie à des démons intérieurs qui se personnifient par ses addictions au sexe, à l’alcool et aux drogues. A ce titre, Orlando Bloom trouve ici un rôle magnifique pour lui, lui permettant de marcher dans les traces de Martin Riggs. Torturé, avec un physique sec et de vrais penchants pour l’autodestruction et les accès de violence. Autant dire que l’acteur explose ici, loin de ses compositions si fades par le passé, tandis que Forest Whitaker se montre toujours aussi à l’aise dans ce genre de rôle complexe, intériorisant au maximum jusqu’à ce que les évènements fassent qu’il explose littéralement. Zulu adopte une structure relativement classique de polar, avec une vaste enquête qui ouvre les regards sur une réalité sociale terrifiante. Le film trouve un bel équilibre entre ce qui tient du pur cinéma de genre et l’exploitation de ce décor d’Afrique du Sud, le pays devenant un personnage à part entière, tout aussi névrosé et blessé que les personnages principaux.
Zulu a beau ressembler avant tout à un polar infusé de l’instantané de tout un pays, il n’en demeure pas moins un film qui ressemble à une lente et douloureuse descente aux enfers. La scène d’introduction, séquence de flashback autour du personnage incarné par Forest Whitaker, donne plutôt bien le ton. Il s’agit de dépeindre un univers dans lequel la barbarie est monnaie courante depuis de trop nombreuses années, et dans lequel la haine raciale demeure encore et toujours. Au fur et à mesure que l’intrigue progresse, les horreurs se multiplient à l’écran de façon toujours plus glauque, un des points d’orgue étant une séquence terrible mettant en scène des enfants. Jérôme Salle affronte son sujet sans fard, avec une approche toujours très crue et enchaîne quelques jolis tours de force, pour forger son propos très fort sur la vengeance et le pardon. La violence y est froide, soudaine, et bénéficie d’une mise en scène et d’un découpage toujours très justes. Une mise en scène par ailleurs très élaborée, à l’identité visuelle plurielle, entre séquences presque opératiques et scènes d’action shootées caméra à l’épaule. A la clef, des affrontements tendus, une magnifique fusillade et… une drôle de course poursuite dans le dernier acte, séquence extrêmement casse-gueule qui apporte une rupture de ton radicale. Elle ne fonctionne pas à 100%, entraînant une vraie chute de rythme, mais elle n’est que la conclusion évidente et nécessaire à tout ce qui précédait. L’action dans Zulu est ponctuelle, presque furtive, mais possède l’impact suffisant pour marquer la rétine et l’esprit, fruit du travail de techniciens hors pair, qu’il s’agisse de Jérôme Salle ou de son directeur de la photographie, le talentueux Denis Rouden. En résulte un film étonnant, énervé, techniquement très abouti, extrêmement sombre et qui ne sacrifie rien de sa noirceur sur l’autel d’une approche mainstream.