Après avoir mis un double point final de triste mémoire à la saga Twilight au cinéma, Bill Condon se penche cette fois sur l’histoire de Wikileaks et plus particulièrement celle de son trouble créateur Julian Assange. En résulte un film très académique et factuel, parcouru de fulgurances de techno-thriller un brin datées, mais surtout porté par l’interprétation stratosphérique d’un Benedict Cumberbatch toujours plus surprenant.
Dans un monde où le quatrième pouvoir, celui de la presse, est devenu une marionnette des trois autres, l’émergence d’un cinquième, venu prendre le relai, tient de l’évidence. C’est à cette naissance que nous convient Bill Condon et son scénariste Josh Singer, issu de la télévision et ayant œuvré sur Fringe. Le Cinquième pouvoir est autant un biopic de Julian Assange qu’un triste état des lieux de la situation de la presse aujourd’hui. Le sujet est bien évidemment fort, même s’il arrive sans doute trop tôt et de façon trop opportune. Concrètement, le traitement proposé ici ne va pas vraiment plus loin que l’illustration méthodique et très appliquée d’une page wikipédia. Il ne faut surtout pas se prendre au jeu de la comparaison avec le gigantesque The Social Network, modèle évident de Bill Condon, tant le film de David Fincher, son écriture ciselée et sa mise en scène étourdissante, fait figure d’épouvantail ou de sommet inatteignable.
Afin de tenter de dynamiser son récit bien trop didactique, Bill Condon se sent obligé d’avoir recours à d’innombrables afféteries pour ancrer son film dans le genre du techno-thriller. L’idée n’est pas mauvaise, même si l’ensemble véhicule un arrière goût d’œuvre déjà datée. Il fait ainsi appel à des effets de style, de montage notamment, expérimentés par feu Tony Scott, en multipliant les écritures apparaissant à l’écran, en utilisant un découpage frôlant l’hystérie et en multipliant les mouvements de caméra majestueux, notamment à chaque fois que le récit bouge dans une nouvelle ville. Cet angle d’attaque ne manque pas d’intérêt et permet d’apporter une certaine énergie à un film dont les enjeux directement liés à la narration peinent à se développer. C’est le principal problème, Le Cinquième pouvoir ne va jamais vraiment plus loin qu’un simple, bien que rigoureux, exposé des faits pour la plupart bien connus. Une des idées dignes d’intérêt vient de tout l’aspect “mental” du film qui tout à coup se détache du réel pour explorer des matérialisations de l’esprit des personnages. Cela donne lieu à quelques séquences plutôt inattendues qui vont jusqu’à rejouer, sur un mode toutefois mineur, des scènes essentielles de la trilogie Matrix. C’est dans ces instants que le film atteint une forme de singularité, même s’il est trop vite rattrapé par cette volonté de coller à une certaine réalité, ou tente de capter au mieux la personnalité insaisissable de son héros.
Et si le récit en lui-même s’avère passionnant pour quiconque serait étranger à ce personnage haut en couleurs, le traitement offert ici permet d’en dessiner des traits de caractère fascinants. Au moins de quoi justifier l’approcher techno-thriller, largement appuyée par la composition illuminée d’un Carter Burwell déchainé. En effet, il s’agit là d’approcher la psychologie d’un homme étrange, sorte de génie paranoïaque et leader d’une rébellion qui finit par lui échapper. Tout ceci est fascinant, sauf qu’il va falloir attendre une conclusion là encore terriblement didactique pour que le propos général du film se montre enfin au grand jour, tandis que ni la narration ni la mise en scène n’ont permis de le faire vivre dans tout ce qui précédait. Il s’agit d’un aveu d’échec d’auteurs pas assez solides pour éviter le piège de l’explication de texte. La véritable performance du Cinquième pouvoir se situe finalement au niveau de son duo d’acteurs, qui parviennent à émerger de la symphonie électronique et d’une narration parfois violente. Si Daniel Brühl livre une interprétation plutôt solide mais sans éclats, dans la droite lignée de ce qu’il a l’habitude de montrer, Benedict Cumberbatch prouve une nouvelle fois qu’il est un des plus grands acteurs du moment. A travers son jeu complexe, fait de subtiles nuances, et une vraie transformation physique, il évolue ici dans une veine qui n’est pas sans rappeler la caractérisation du personnage du Joker dans The Dark Knight, avec notamment la légende de ses cheveux blancs en écho à la cicatrice. Le revers de la médaille est qu’il vampirise le cadre, ne laissant aux autres acteurs que des miettes qu’ils tentent de ramasser dans son ombre. Dommage pour la trop rare et si talentueuse Carice van Houten par exemple, dont la prestation aussi bonne soit-elle ne marquera pas vraiment les mémoires. A l’image de ce film, dont l’application inattaquable parait finalement bien peu de choses face à ce caractère révolutionnaire qu’il tente de véhiculer, sans vraiment y parvenir. Et le tout pour aboutir sur un message finalement assez faiblard, qui tient de l’évidence plus que d’autre chose.