Annoncé dès la sortie du premier Terminator en 1984, il aura fallu 7 ans et une quantité colossale de développements technologiques pour que Terminator 2 puisse enfin voir le jour. Plus de 20 ans plus tard, le film de James Cameron reste un modèle absolu du mariage entre l’action et la science fiction mais également, et surtout, une date essentielle dans l’évolution du blockbuster hollywoodien, étonnement oublié de certains historiens du cinéma au profit d’un petit film qui faisait renaître des dinosaures. Pourtant, sans Terminator 2 – Le jugement dernier, il n’y aurait pas de Jurassic Park.
Il est amusant de se replonger dans l’historique de Terminator 2 – Le jugement dernier, un film considéré à sa sortie par l’intelligentsia critique comme “Sous prétexte de science-fiction bagarreuse, un tonitruant festival d’effets spéciaux et d’hypocrisie.”1. Avant une bataille de plusieurs années pour récupérer les droits de la franchise Terminator, l’idée même d’une suite émergeait peu de temps après la sortie de Terminator premier du nom, pour un nouveau petit budget aux alentours de 12 millions de dollars. L’ironie de la chose étant qu’au final, avec un budget de 102 millions de dollars, Terminator 2 – Le jugement dernier deviendrait le premier film avec un budget dépassant les 100 millions (il en rapportera près de 520), ouvrant ainsi la voie à une nouvelle forme de superproductions toujours plus onéreuses, mais permettant également de faire évoluer considérablement, par la recherche, la technologie cinématographique et notamment l’émergence du numérique. Terminator 2 – Le jugement dernier marque la véritable prise de pouvoir d’ILM et un virage inéluctable dans le traitement des effets spéciaux au cinéma, ouvrant une immense porte sur d’innombrables possibilités. James Cameron avait déjà fait appel aux ordinateurs du studio pour les 75 secondes de la créature aquatique d’Abyss, qui deviennent ici quelques 6 minutes d’effets numériques étourdissant pour traiter le personnage du T-1000, fruit du travail d’une équipe largement étendue et qui permettra quelques années plus tard la création des dinosaures de Jurassic Park. Autant dire que la révolution TRON, près de 10 ans auparavant, n’est plus qu’un lointain souvenir tant le bond en avant est gigantesque.
Avec son titre éminemment biblique, prouvant si cela était encore nécessaire l’attachement de James Cameron aux mythes fondateurs (l’apocalypse, l’élu, le T-800 en cavalier de l’apocalypse moderne…), Terminator 2 – Le jugement dernier est une nouvelle fois un mariage parfait entre l’entertainment pur et dur et un propos extrêmement riche. Le réalisateur s’imposait alors une nouvelle fois comme un des auteurs hollywoodiens les plus intelligents, abordant le cinéma non seulement comme un medium ultra spectaculaire mais également comme un vecteur d’idées politiques, sociales, ou environnementales. Plusieurs thèmes se retrouvent dans cette suite qui prend un contrepied brutal avec son prédécesseur. Dans une Amérique post-reaganienne, sous l’ère de Bush père qui lançait son opération Tempête du désert en Irak, Terminator 2 témoigne à travers ses visions apocalyptiques (le rêve nucléaire de Sarah Connor était considéré à l’époque comme l’illustration la plus réaliste des conséquences d’une explosion atomique, grâce à la qualité des effets spéciaux et animatronics de Stan Winston) d’une peur générale d’un affrontement global aux conséquences terribles. Le film est également dans la continuité du premier dans son propos coup de poing contre les forces de police, le mal absolu prenant cette fois l’apparence d’un policier capable de toutes les brutalités. Sans compter ces plans plein d’ironie lorsqu’il filme le T-1000 dans un véhicule de police, avec la mention “protéger et servir”. Fruit du hasard ou d’un film en totale adéquation avec son époque, quelques mois avant la sortie du film, Rodney King était victime de violences policières à Los Angeles, lieu de l’action de Terminator 2. Donc même si en apparence cette suite est largement assagie par rapport au premier film, dans sa contestation du système, avec un Arnold Schwarzenegger servile qui ne tue plus aucun flic, le film n’est en rien un simple blockbuster qui caresse le pouvoir dans le sens du poil. Il y a toutefois une vraie volonté de revenir sur un malentendu engendré par Terminator, dans lequel le robot était une figure du mal transformée en héros par les spectateurs. Conscient de la portée gigantesque de son cinéma et de son influence sur le public, James Cameron fait cette fois d’Arnold Schwarzenegger une incarnation de valeurs positives. L’identification, notamment des plus jeunes, au personnage ne pose donc plus de problème moral. C’est une des raisons pour lesquelles il a abandonné une des idées initiales concernant le bad guy qui devait également être interprété par Schwarzy, évitant ainsi de créer une confusion chez le spectateur tout en confirmant son souhait de ne plus donner le mauvais rôle à l’acteur. Une autre idée abandonnée était de créer un Terminator féminin, idée jugée ridicule… pour être reprise dans Terminator 3.
Arnold Schwarzenegger, T-800 pour l’éternité, bénéficie par ailleurs d’un personnage repensé en profondeur. De bourreau, il passe à garde du corps, et même à père de substitution. L’exercice narratif de James Cameron est d’ailleurs une nouvelle fois un exemple à suivre tant il joue avec l’illusion, manipulant le public avec brio lors de sa séquence d’ouverture qui montre tout d’abord le cyborg comme une menace directement issue du premier film. La portée de son inoubliable “Come with me if you want to live” prend dès lors une toute autre ampleur. Il est le sauveur. Le travail sur le mythe du Terminator est fascinant car l’auteur s’amuse jusqu’au final avec la notion d’humanité que le spectateur lui appose logiquement. Une illusion car jusqu’à ses derniers instants, son comportement ne répond qu’à la logique d’une machine et non à une éventuelle conscience, même si le traitement sème le trouble. Mais ce n’est pas le seul personnage à bénéficier d’un important remaniement. Celui de Sarah Connor, incarnée par une Linda Hamilton littéralement habitée, est passionnant dans son évolution. Longtemps désespérée, instable et négligée, elle devient peu à peu une incarnation féminine de la figure implacable du Terminator (James Cameron l’iconisant dès qu’elle revêt sa tenue de guerrière) pour devenir ensuite ce qui n’est ni plus ni moins qu’un des personnages féminins les plus forts vus à Hollywood. Non pas un personnage masculin qui aurait l’apparence d’une femme mais bien une vraie femme, et une mère. Terminator 2 – Le jugement dernier c’est également la construction détaillée et logique d’un héros en devenir, un symbole en la personne de John Connor qui assimile au fur et à mesure son destin de leader d’une humanité sur le déclin. Le débutant Edward Furlong lui apporte toute son innocence d’alors, teintée d’une gravité que le destin de l’acteur confirmera malheureusement ensuite. C’est d’ailleurs à travers son personnage que se dessine le paradoxe temporel que représente le film, la théorie de la relativité remettant complètement en cause le happy end illusoire. L’autre figure essentielle du film est bien sur le T-1000 incarné par Robert Patrick. Il représente une nouvelle figure du mal absolu, inarrêtable et sans pitié, dont l’apparence a été minutieusement choisie pour créer une opposition totale avec celle d’Arnold Schwarzenegger. A la brutalité massive et pataude de l’autrichien, il répond par la vitesse, la précision et la manipulation. L’amateur d’automobiles James Cameron explique son choix ainsi : “Si les T-800 peuvent être comparés à des chars d’assaut, les T-1000 sont des Porsche”.
Le personnage du T-1000 est par ailleurs très proche de la créature de The Thing. Pour l’anecdote, James Cameron avait l’idée d’une créature en métal liquide pouvant changer de forme dès l’écriture du premier Terminator. Une idée qu’il n’a pas pu concrétiser alors par manque de moyens financiers et technologiques, et que John Carpenter a eu à peu près en même temps, sous une forme légèrement différente. Pas vraiment surprenant tant les deux réalisateurs possèdent le même regard lucide sur leur époque, la créature représentant clairement l’illusion du pouvoir, le mal pouvant prendre l’apparence d’une figure du bien pour accomplir son sombre dessein. A l’image de tous les grands films, Terminator 2 – Le jugement dernier est donc un film riche en symboles. Mais c’est également un film riche tout court, qui s’abreuve de toute une mythologie du cinéma américain pour créer un film-monde. C’est évidemment un immense film d’action, dont le rythme de faiblit jamais, bénéficiant de séquences d’action inégalées et ayant influencé nombre de grands cinéastes (on retrouve la poursuite aussi bien chez John Woo que chez les Wachowski), d’un découpage d’une précision extrême et d’une mise en scène souvent impressionnante. Mais c’est également parmi ce que la science-fiction a produit de plus complexe au cinéma, autant dans la peinture d’un univers tout entier et d’une réalité alternative tout à fait vraisemblable que dans ses enjeux philosophiques (les excès de l’humanité, notamment symbolisés ici par le personnel hospitalier, menant vers une prise de contrôle de leurs créations). C’est enfin une passionnante variation moderne des motifs inhérents au western. De la séquence d’ouverture dans un bar/saloon au duel final, en passant par cette longue chevauchée où les montures sont des véhicules motorisés, où Arnold Schwarzenegger utilise son arme comme John Wayne, ou encore avec l’inclusion d’un personnage latino, de nombreux éléments font de Terminator 2 – Le jugement dernier une sorte de western futuriste. Ce n’est pas pour rien que le Terminator est entré au panthéon des plus grands mythes de la SF, au même titre que le xénomorphe d’Alien ou que le Predator. Un lien amusant est d’ailleurs à noter avec ce dernier, sous la forme d’un évident clin d’œil, quand le T-800 utilise le même minigun que Mac2. Terminator 2 – Le jugement dernier est la synthèse parfaite de certains des plus gros talents de notre temps, James Cameron, Arnold Schwarzenegger, Stan Winston et bien sur Dennis Muren, pour ce qui restera comme une date essentielle dans l’histoire du cinéma.
- Jean-Michel Frodon dans Le Monde du 18 octobre 1991
- Une façon d’appuyer le lien entre James Cameron et John McTiernan, le premier ayant présenté Stan Winston au second pour la création de la créature finale