PIFFF 2013 : compétition
Quelques années après Savage, un premier long métrage très oubliable autour du concept de vengeance, Brendan Muldowney revient avec une fable macabre et arty à la lisière du fantastique. Avec ses airs de film “Sundance”, ses égarements atmosphériques et son héros dépressif, Love Eternal peine à trouver son sujet et son rythme, s’empêtrant dans l’exercice de style un peu vain et sans aucune identité.
A peu près dénué de fantastique à proprement parler, Love Eternal est un tout petit film irlandais qui reprend à peu près tous les gimmicks du cinéma indépendant américain. Adapté d’un roman japonais signé Kei Ôishi (auteur à l’original d’Appartement 1303 d’Ataru Oikawa), il articule son semblant d’intrigue autour d’un sujet fort, le suicide. Pourtant loin de la délicatesse japonaise ou de l’ancrage culturel de la chose, le film se prend largement les pieds dans le tapis en ne sachant pas vraiment quelle voie suivre, donnant lieu à un récit manquant cruellement de cohérence. A la fois film de fantômes (son seul rapport au fantastique se situant dans des apparitions fantasmées, issues d’un esprit franchement dérangé), film de serial killer nécrophile et drame pompeux sur le deuil, Love Eternal pêche avant tout par son côté complètement désincarné et ses digressions gratuites, pour un résultat d’une malheureuse vacuité.
Le problème est que d’autres avant Brendan Muldowney ont déjà, et avec mille fois plus de talent, abordé les différents sujets qui composent ce drame macabre. De La Fiancée de Frankenstein à May, en passant par Nekromantik ou Dellamorte Dellamore, les déviances affectives et/ou sexuelles d’esprits névrosés ont donné lieu à des films parfois magnifiques, parfois dégueulasses, mais avec toujours un propos fort, audacieux et une identité marquée. Tout ce qui manque à Love Eternal qui aborde l’exercice sous un angle vaguement mélancolique, tout en faisant avorter systématiquement chaque thème abordé. Les relations physiques avec des cadavres sont évacuées, l’esprit perturbé du héros et ses dessins sur les murs également, et même son obsession du suicide finit par s’envoler. A tel point qu’il est possible de se demander où voulait en venir Brendan Muldowney. D’autant plus qu’il impose une narration à la rythmique lancinante, ponctuant son film de séquences oniriques sans grand intérêt. Des visions du cosmos, un coquillage hypnotique, des scènes très belles en autonome mais n’apportant strictement rien à l’intrigue. Et le tout avec une utilisation de la longue focale et d’une photographie très douce, non pas dans un souci de cohérence visuelle avec le propos mais comme simple écrin décalé à un récit qui fait su surplace. Le film ne manque pas de style, même s’il reste très impersonnel, mais il n’est là que comme apparat arty pour une histoire apte à provoquer moult somnolences.
Et le tout pour aboutir sur quoi ? Une grossière illustration des conséquences du décès d’un parent sur la santé psychologique d’un enfant qui deviendra un adulte passablement dérangé. Oubliant que le processus de deuil est avant tout une lutte avec ses souvenirs, Love Eternal s’appuie sur un personnage factice et inconsistant, dont l’évolution n’ira finalement que dans le sens d’une acceptation morale de ses actes. Dommage, car en éparpillant son récit et ses thématiques, en oubliant des personnages forts et en voulant jouer sur un humour bizarre qui ne fonctionne jamais, Brendan Muldowney passe à côté d’un beau film. L’identification aux personnages, entre lesquels l’émotion ne nait jamais vraiment, s’avère tout bonnement impossible. Cela ne rend pas justice au travail des comédiens, pourtant remarquable, avec en tête le duo Robert de Hoog et Pollyanna McIntosh qui livrent tous deux des prestations solides. Sauf qu’avec un script qui ne sait vraisemblablement pas trop où il va, cela ne pouvait pas fonctionner. C’est d’autant plus agaçant que dès lors que le personnage de Ian prend conscience de son pouvoir pour accompagner le suicide de femmes rencontrées sur son tchat, il y avait matière à créer quelque chose de fort autour de lui. Malheureusement, Brendan Muldowney préfère s’échiner à en faire une sorte de loser pathétique qui cherche à construire un cocon familial impossible, puis passe à autre chose, et encore autre chose, jusqu’à en faire un personnage dénué de toute matière, être transparent n’existant qu’à travers ses rencontres. Et le tout sur un ton un brin trop solennel pour être pris à la rigolade, et trop éparpillé pour être pris au sérieux.