Fin 70, après avoir laissé tomber ses études d’ingénieur pour de petits jobs d’appoint qui lui permettront d’écrire, James Cameron imagine une histoire mêlant science-fiction et fantastique pour son premier court métrage. Imprégné par les livres qu’il dévorait enfant, signés Edgar Rice Burroughs ou Tolkien, le futur cinéaste fait naître sur le papier les aventures d’un homme handicapé à la découverte d’une nouvelle planète. Une immense femme bleue sera sa guide. L’histoire ne sera finalement pas utilisée pour Xenogenesis mais pour son Avatar qui sortira 30 ans plus tard.
Lorsqu’il était enfant, il n’était pas rare de voir James Cameron fabriquer des avions ou des voitures. De “vrais” modèles fonctionnels dans lesquels il pouvait monter. Pour ce faire, il devait diriger sa bande de copains à qui il avait délégué des fonctions. En somme, un petit bonhomme à la tête d’un projet assez énorme pour lui. Quelques années plus tard le réalisateur canadien occupe toujours le même poste avec cette fois-ci des films comme Titanic ou Avatar. Et pour ce dernier, Cameron fidèle à lui-même a voulu faire les choses en grand. Voir en 3 dimensions. Toujours en marge, il décide de créer lui même sa propre caméra 3D en compagnie de Vince Pace avec lequel il avait travaillé sur Abyss. Sept ans pour mettre au point l’appareil, dont deux années pour le peaufiner. Sa technologie se devait d’être parfaite pour porter la narration de son récit et se devait de devenir un modèle sur le marché. L’évolution de la technologie cinématographique est clairement au centre d’Avatar, le film doit son existence à la performance capture et la caméra virtuelle1. Mais le but d’Avatar et son histoire sont clairement anti-technologie. L’ambivalence est une fois de plus présente au cœur de ce récit conté par James Cameron, tout comme elle l’était dans Terminator. Cette cohabitation difficile renvoie le spectateur à son propre comportement. L’homme aime la nature mais parallèlement ne peut se passer des nouveaux objets imposés par l’industrie.
Le film s’ouvre sur un plan subjectif. Celui de Jake Sully (Sam Worthington) car c’est à travers lui que nous allons découvrir Pandora, la planète tant convoitée par les humains. Ironiquement, ce lieu ressemble fortement à la Terre des origines. Un peu comme si nous remontions dans le temps. Un endroit vierge peuplé d’une infinité de végétaux et d’espèces animales. Un royaume de la diversification. Pour décrire ce paradis, James Cameron s’est inspiré de la Genèse. Pourtant athée, ce texte représente un symbole fort pour lui et son évocation nous ramène tout simplement au commencement, aux racines de l’humanité. Peut-être est ce la raison pour laquelle le spectateur s’est si rapidement senti à l’aise sur Pandora, le monde est nouveau mais familier. Ainsi, avec l’apport majeur de Weta, pour peupler les lieux, le réalisateur s’est amusé à créer plusieurs animaux sauvages, des plantes quelque peu détournées d’après celles qu’il a pu observer dans le milieu marin, des Na’vi et une langue. Le langage a été inventé en hommage à Tolkien2 mais également pour dénoncer le fait que plusieurs langues s’éteignent chaque année. Une standardisation gagnant du terrain, gâchant la richesse et le charme qu’avaient certaines langues qui ne sont plus. Quant aux Na’vi ils sont présents pour représenter une forme pure et très esthétique. Une version fantasmée de l’être humain ou de ce qu’il pouvait être à un stade plus innocent, bien avant que la civilisation moderne l’aveugle, le conditionne et le corrompe. James Cameron sait pertinemment que la majorité du public est fascinée par ces reportages sur les populations indigènes qui vivent en parfaite osmose avec la nature. L’attachement aux personnages dans le film est donc quasiment naturel.
Deux niveaux de lectures sont proposés pour Avatar (comme pour tous les films de James Cameron). Le premier bien en évidence pour les plus jeunes et le deuxième plus complexe qui invite à gratter la surface et à se poser quelques questions. Ce que nombre de réfractaires aux blockbusters n’ont pas cherché à comprendre. James Cameron évolue dans un cinéma intelligent et, aussi improbable que cela puisse paraître, ses messages ne sont pas toujours compris. Avatar est une cible parfaite des esprits simples et des regards cloisonnés, remettant ainsi en question les qualités d’un auteur un peu trop sous-estimé. Une histoire qui a germé des années dans la tête d’un artiste ne peut se résumer en quelques minutes. L’environnement et le propos sont riches et complexes, tout comme les personnages. Jake Sully par exemple est l’homme un peu “gauche” par excellence. C’est pour cette raison que Cameron voulait un inconnu pour le rôle, le spectateur n’ayant aucun recul sur son jeu, son côté bourrin était vite crédible. Jake représente l’humain bien ancré dans sa culture qui parvient malgré son handicap à repousser ses limites et à ouvrir son regard sur le monde qui l’entoure. Il rappelle qu’il est possible pour tout un chacun d’apprendre à respecter son environnement. Le docteur Augustine (Sigourney Weaver) parlera aux geeks. Le fait qu’elle fume dans le film avait d’ailleurs créé la polémique. Il a fallu que James Cameron explique que ce mauvais passe-temps était là pour illustrer qu’elle négligeait son corps d’humaine et préférait passer du temps dans son monde parallèle de Pandora. Et Neytiri (Zoé Saldana), qui est la véritable héroïne du film, invite à imaginer ce que serait une planète sous le matriarcat. Pendant une bonne partie du film elle représente d’ailleurs aux yeux de Jake l’inverse du Colonel Quaritch (Stephen Lang), qui lui représente l’impérialisme et la force du patriarcat omniprésent sur Terre. Le duel est constamment en toile de fond, Neytiri suggérant une société alternative.
En tant qu’activiste très engagé, l’auteur a voulu à travers Pandora nous renvoyer à la situation que vivent actuellement certaines tribus amazoniennes. Les forêts se font raser à une vitesse effrayante et laissent place à de profondes cicatrices visibles à l’œil nu depuis l’espace. L’arbre gigantesque et majestueux dans le film en est la parfaite métaphore, il renvoie lui aussi à la Genèse, aux Mayas et à l’arbre de la connaissance du bien et du mal, cet arbre qui symbolisait l’axe du monde et qui soutenait le ciel. Ses racines empoignent les entrailles de la terre, c’est à dire au cœur de la vie. En détruisant ses arbres l’homme perd ses propres racines. En observant la maison des Na’vi s’écrouler et se déraciner suite aux attaques des soldats, le spectateur ne pouvait qu’être ébranlé car cet arbre était une métaphore de cette nature, de cette faune et de cette flore que les hommes détruisent pour des raisons économiques. Cela peut paraître naïf ou candide, mais l’essentiel était d’apporter une réponse émotionnelle. L’arbre de vie est aussi symbolique car il est connecté avec les êtres vivants. Il est l’oméga qui permet aux Na’vi d’interagir avec leur milieu ambiant. L’une des images les plus fortes d’Avatar s’observe lorsque Sigourney Weaver est en train de mourir. Pour la sauver, les Na’vi font appel à l’arbre mère pour lui injecter de la chlorophylle dans les veines. Cette perfusion verte, sorte de substitution au sang, signifie que c’est par la nature que l’être humain trouvera le salut. L’opération échoue car malheureusement, l’avidité de l’homme, son incapacité à revoir sa façon de consommer et de penser, ainsi que arrogance semble toujours prendre le dessus dans cette société. C’est en tout cas la vision pleine de lucidité de James Cameron
Avatar possède un message environnemental qui ne laisse pas indiffèrent, les symboles forts présents dans le film ont marqué les esprits. L’œuvre parle ni plus ni moins que de l’être humain. Dans Terminator, James Cameron dénonçait déjà le risque de voir l’humanité se faire avaler et détruire par une surenchère de la technologie, quand en filigrane il exprimait sa peur du nucléaire. Aliens parlait de colonisation et du risque de modifier un habitat. Abyss nous invitait à changer profondément pour obtenir une chance de survie sur cette planète. Titanic, qui est pourtant une histoire vraie, pointait du doigt l’arrogance des hommes face à la nature jusqu’à ce qu’un iceberg leur rappelle qu’ils sont impuissants. Et pour boucler la boucle, en attendant la suite, Avatar montre les ravages d’un syndrome contre lequel James Cameron combat. Celui d’une destruction programmée et inéluctable si l’être humain ne se décide pas à agir en communion avec son environnement.
- caméra non physique créée par celles fixées dans le volume, et qui permet ensuite de tourner les scènes sans avoir besoin des acteurs, elle permet aussi de voir le décor virtuel en temps réelle. Beaucoup d’informations, en anglais, par ici : http://www.popularmechanics.com/technology/digital/visual-effects/4339455
- J. R. R. Tolkien a développé plusieurs langues de la Terre du Milieu pour Le Seigneur des anneaux et Le Hobbit