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Cartel (Ridley Scott, 2013)

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Technicien génial à la filmographie en dents de scie, Ridley Scott n’est jamais aussi bon que quand il bénéficie du travail d’un grand scénariste. Cela se confirme une nouvelle fois avec Cartel, son meilleur film depuis une éternité, qui doit énormément au premier script du génial Cormac McCarthy. L’action dosée à la note juste, des dialogues affutés comme des lames de rasoir, une qualité d’écriture formidable qui permet au talent de faiseur d’images de Ridley Scott de s’exprimer à sa juste valeur.

Même s’il est vrai que Ridley Scott a toujours eu beaucoup de mal à reproduire le niveau du tiercé gagnant de ses débuts, il reste un des metteurs en scène les plus intéressants au monde, sorte de super-technicien, loin du statut d’auteur, prêtant sa technique à des récits plus ou moins réussis. Et si Prometheus prouvait une nouvelle fois qu’avec un matériel original faiblard il n’était pas capable de miracles, il hérite avec Cartel d’un projet d’un tout autre niveau. En effet, cette fois, il a droit au premier scénario original signé Cormac McCarthy (du moins, son premier ayant été produit), auteur génial à l’origine de No Country for Old Men et La Route. Et la rencontre entre ces deux figures donne naissance à un film inattendu, peu aimable, car tout ce qu’il peut y avoir de plus désagréable chez eux, du point de vue du public, se multiplie à l’écran. D’un côté, le style à la fois flamboyant et clinique de Ridley Scott, dont le cinéma vire de plus en plus à l’épure émotionnelle. Et de l’autre le nihilisme total de Cormac McCarthy. Le résultat est donc un film glacial, dépourvu de toute émotion, misanthrope et nihiliste. Rien n’est présent pour assurer au spectateur de passer un bon moment, y compris un rythme peu entraînant, ce qui lui a valu de se prendre les foudres des critiques aux USA et un gros flop au box office.

Cartel 1 Cartel (Ridley Scott, 2013)

Il serait donc aisé de reprocher à Cartel tout un tas de choses, de son aspect peu aimable, sans âme, à sa tendance très bavarde. Cependant, en prenant un contrepied total à ce que laissait penser le pitch d’origine, le film impose autant sa singularité que son audace, et finalement une identité propre qui sied parfaitement à ce qu’est devenu le cinéma de Ridley Scott dans ce qu’il possède de meilleur. Noir et désespéré, Cartel doit évidemment tout à Cormac McCarthy et sa vision crépusculaire de l’Amérique. Intelligemment, il repense le mode de narration de ce qui ressemblait à un vulgaire film de gangsters, évitant soigneusement les étapes qui semblaient jusque là obligatoires. Ainsi, les raisons qui peuvent pousser un avocat à s’acoquiner à des gangsters sont balayées en une phrase, de la même façon que le déroulé précis de l’opération n’est jamais vraiment dévoilé. Seuls restent quelques instantanés pris ça et là, ponctuations nécessaires pour élaborer un récit de manipulation d’une cruauté sans nom. L’avocat, à priori au centre (le titre original est “The Counselor”) ne sera finalement qu’un personnage-marionette poussé à l’inaction par un acte absent du film, car le précédant. En résulte quelque chose de bizarre, un film articulé autour de longues séquences dialoguées, sur lesquelles plane en permanence l’ombre du désespoir. Concrètement, Cartel est l’exact opposé des films tels que Snatch ou Arnaque, crime et botanique auxquels il pourrait être comparé en se basant sur le point de départ du script. En effet, il aborde le même cycle de la lose et la descente aux enfers, sauf qu’il n’en ressort rien de positif ou d’amusant. Tout y est d’une noirceur extrême, et tous les personnages sont mauvais (on y voit même des enfants dépouiller un cadavre encore chaud). Un seul reste profondément bon, sauf qu’il héritera d’un destin tout aussi terrible que les autres. Ne pas s’attendre à une quelconque forme de happy end, car Cormac McCarthy représente bel et bien le nihilisme incarné en auteur. Et les uns après les autres, entraînés dans une réaction en chaîne qu’ils ont provoquée quelque part, les personnages vont payer les conséquences de leurs actes, entraînant également ceux qui n’y seraient pour rien.

Cartel 2 Cartel (Ridley Scott, 2013)

Il y a bien longtemps que Ridley Scott n’avait pas signé un film aussi noir, au propos aussi vertigineux. Car si d’entrée de jeu les dialogues, brillamment écrits avec un sens de la rythmique redoutable, semblent se pencher exclusivement sur les notions de pouvoir, d’argent et de la peur des femmes de pouvoir, ils évoluent considérablement au fil du film. A travers des rencontres avec une poignée de personnages secondaires (toujours joués par de grands acteurs, de Bruno Ganz à Édgar Ramírez, en passant par Dean Norris, d’où une certaine frustration de les voir si peu à l’écran) se dessine un discours brutal. Il y est question d’actes et de conséquences bien entendu, mais plus largement de choix moraux et d’acceptation d’un destin tout tracé. Quelques textes du poète espagnol Antonio Machado, une poignée de lignes de dialogues du type “le monde où vous souhaitez réparer vos erreurs n’est pas celui dans lequel vous les avez commises”, et le propos de Cormac McCarthy assomme littéralement le film : chaque acte de l’homme crée un monde duquel il ne pourra pas s’échapper, il devra donc apprendre à en faire partie et à accepter son destin. Aucune issue possible dans Cartel, vaste entreprise manipulatoire menée par une Cameron Diaz extraordinaire en veuve noire, portant un récit qui avale les personnages masculins les uns après les autres. La petite déception viendra peut-être de Michael Fassbender, effacé par les prestations de Javier Bardem (son monologue/flashback autour d’une histoire de poisson-chat est un grand moment de n’importe quoi assez tragique) et Brad Pitt. Pour le reste, Cartel est un modèle d’élégance, un film crépusculaire parcouru de fulgurances d’une violence et d’une brutalité étonnantes (chaque mise à mort est frontale). La mise en scène de Ridley Scott, glaciale, et la photographie au diapason de Dariusz Wolski, assurent une illustration parfaite pour ce récit, appuyant encore le ton déshumanisé de l’ensemble, où les êtres humains dotés d’émotions se trouvent broyés par ceux dont chaque acte est calculé en fonction de leur efficacité financière. Ce monde, à la rencontre entre les USA et le Mexique, ce ton désespéré et nihiliste, cette fuite en avant face à l’inéluctable, il ne fait aucun doute que 40 ans plus tôt Cartel aurait pu avoir une place de choix dans la carrière de Sam Peckinpah. Et ce même si ce dernier n’aurait jamais traité la chose de façon si froide.


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