Avec trois films en quatre ans, Roman Polanski n’avait pas été aussi prolifique depuis le début des années 70. A 80 ans, il explore à nouveau les espaces restreints du huis clos pour relever un nouveau défi de mise en scène : une scène de théâtre comme décor unique, deux acteurs seulement, et une variation autour du récit fondateur du saxo-masochisme. Sulfureux Polanski ? Pas vraiment, mais il creuse dans une veine acide et très amusante.
Après le formidable Ghost Writer, Roman Polanski s’est replongé vers un cinéma beaucoup plus épuré, lui permettant de lier ses deux passions de mise en scène : le cinéma et le théâtre. L’exercice est toujours périlleux car il est nécessaire de déployer une grammaire cinématographique suffisamment riche et complexe pour ne pas tomber dans du vulgaire théâtre filmé, sans aucun intérêt. Déjà dans Carnage, sa mise en scène regorgeait de trésors afin d’éviter toute répétition et d’imprimer un mouvement à ce récit en vase clos. Il se radicalise encore un peu avec La Vénus à la fourrure, en limitant ses personnage à un duo, mais surtout en situant son récit dans un espace qui n’est autre qu’une vieille salle de théâtre presque à l’abandon. Un metteur en scène et une actrice dans un décor unique, déclamant leur texte avec théâtralité, le risque de tomber dans l’ennui et la pauvreté graphique était grand. Sauf que Roman Polanski puise dans ce récit toutes ses obsessions et va encore plus loin, en y infusant autant d’éléments biographiques, de son oeuvre, ainsi qu’une franche ironie sur le milieu. Mais mieux encore, le film prend une ampleur considérable en prenant à revers le roman de Sacher-Masoch pour le transformer en une sorte de pamphlet féministe.
Dès son plan séquence d’ouverture en vue subjective, La Vénus à la fourrure annonce ses intentions. De la rue déserte à l’intérieur d’un théâtre, ce récit sera fantaisiste. Il sera également bizarre, une étrangeté évolutive qui provoque la sensation selon laquelle le récit peut basculer à tout moment dans le fantastique. En effet, derrière l’exercice théâtral se cache le mythe de Vénus, capable de surgir à chaque instant. Une Vénus punitive, évidemment. Mais avant d’en arriver à ce basculement dans l’étrange, La Vénus à la fourrure avance avec sa dialectique à la fois simple (utilisation massive du champ-contrechamp) et complexe, dans la mesure où Roman Polanski parvient une nouvelle fois à se réinventer dans un espace aussi réduit, sans cesse à la recherche du cadre parfait. Cette maestria dans la composition picturale, dans son orientation du regard du spectateur, permet d’effacer l’exercice de style. Ainsi, la scène de théâtre finit par s’effacer au profit d’un lieu fantasmatique. Sauf que le réalisateur, malicieux, aime à rappeler de quoi il s’agit. Ainsi, en plein exercice de mise en abyme, il s’amuse à rappeler aux personnages – et donc au public – qu’ils sont des acteurs, mais se joue de ce trouble qu’il alimente. La Vénus à la fourrure devient alors une oeuvre franchement troublante dans ce rapport qu’elle entretient au réel. Et s’il n’était pas interdit de rager devant le manque d’ambition apparent de Polanski, semblant trancher avec l’ampleur que son cinéma prenait avec Ghost Writer, il convient de s’incliner devant une certaine forme de virtuosité qui transpire ici. En effet, bien au-delà du théâtre filmé, La Vénus à la fourrure est un pur film de Roman Polanski, nourri de tout ce qui a pu faire sa grandeur. Parfois fiévreux, jamais vulgaire, toujours à la bonne distance, le film met en scène une succession de faux-semblants fascinants, tout en mettant en scène une forme de séduction et de désir étrange filant peu à peu vers l’obsession et donc le culte.
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Si Roman Polanski construit évidemment une forte tension sexuelle dans son film, le propos n’est pas là. Comme il a pu le faire par le passé, il préfère se focaliser sur les rapports de domination dans la séduction, mais également sur l’inversion des rôles et la perte de repères. A l’écran, Vanda incarne Wanda, Thomas incarne Severin, mais les rôles finissent par s’inverser, quand ce ne sont pas Vanda et Thomas qui prennent le dessus sur leur personnage. Mais c’est également, de façon troublante, Mathieu Amalric dans la peau de Roman Polanski et Emmanuelle Seigner dans celle de Mathilde Seigner. Ou pas du tout, Polanski cherchant avant tout à perdre le spectateur et faire ployer ses repères dans un exercice post-moderne et fortement ironique. Le réalisateur ne s’était pas montré aussi malicieux depuis bien longtemps, brouillant les pistes jusqu’à faire revêtir au personnage de Thomas, dont il se prétend pourtant être tout l’opposé, des vêtements qui semble provenir du tournage du Bal des vampires et donc de son propre personnage d’alors. L’exercice est donc terriblement ludique, jamais ennuyeux grâce à sa maîtrise totale de la narration, et quelque part vertigineux tant les pistes n’en finissent plus de s’entrecroiser. Derrière sa simplicité apparente, La Vénus à la fourrure regorge ainsi de trésors qui multiplient les grilles de lecture. Mais le film brille surtout par l’élégance de sa mise en scène et sa liberté totale. Il est amusant d’y voir Emmanuelle Seigner prononcer des lignes telles que “Diriger, mettre en scène, c’est votre boulot de torturer les acteurs”, tout en ironie. L’actrice y est d’ailleurs filmée comme jamais à travers l’oeil de son mari, le seul capable d’en tirer autant. Il l’utilise autant pour électriser son récit que pour développer une belle réflexion sur l’évolution du langage, comme un écho à celle de son langage cinématographique. Elle transforme une certaine vulgarité en quelque chose de bien plus vaste et symbolique, jusque dans ce final assez étourdissant, marquant l’abandon total du réel au profit du mythe. La Vénus à la fourrure y développe alors un discours inattendu de la part de Polanski, troublant, puissant et grotesque à la fois. Il se dégage de l’ensemble une aura opératique, plus que théâtrale, appuyée par la composition omniprésente d’Alexandre Desplat, pour un petit film fascinant qui brouille les pistes et les rôles, vaste exercice de manipulation et d’exploitation de l’espace scénique qui prouve à nouveau la maîtrise de Roman Polanski en matière de huis clos.