Sorti de sa retraite dorée depuis quelques temps, Luc Besson retrouve avec Malavita l’univers des gangsters qu’il avait plus ou moins abandonné depuis Léon. Et en adaptant le roman de Tonino Benacquista, il s’essaye avec perte et fracas à la comédie noire avec la bénédiction de Martin Scorsese. Et malgré un Robert De Niro en bonne forme, alors que tout était réuni pour que l’ex-prodige retrouve son aura comme par miracle, le résultat est extrêmement embarrassant et finit d’enfoncer la carrière d’un réalisateur qui n’a pas su s’arrêter quand il le fallait.
Le problème avec Luc Besson, comme avec d’autres réalisateurs qui furent grands avant de venir se fondre dans la masse des médiocres, est que chacun de ses nouveaux films est une source d’espoir. L’espoir de retrouver celui qui fut si inventif, celui qui savait assimiler le meilleur du cinéma américain ou chinois pour créer son propre style, celui pour qui populaire ne rimait pas avec je-m’en-foutisme. Sauf que depuis Le Cinquième élément, celui dont la carrière devait s’arrêter avec Angel-A semble comme aspiré par un gouffre sans fin. Il y a bien sur eu The Lady, petit sursaut d’orgueil loin d’être inoubliable mais rappelant qu’il savait faire du cinéma. Et puis il y a Malavita. Et Malavita est un film qui pose de sérieuses questions sur ce qu’est devenu le cinéma aujourd’hui pour Luc Besson. Au diable la finesse des écrits de Tonino Benacquista, qui après les massacres des Morsures de l’aube, de L’outremangeur ou encore de La Boîte noire, devrait interdire l’adaptation de son œuvre afin de la préserver. Malavita présente la même finesse que les productions les plus basses du front de Luc Besson, à savoir une vulgarité triomphante et une bêtise crasse grossièrement maquillée en humour subversif. Le tout avec un scénario qui se permet des facilités à priori interdites aujourd’hui tant elles utilisent des artifices gros comme le nez au milieu de la figure, mis en scène avec une paresse étonnante.
Tout Malavita se résume dans le regard perdu de Tommy Lee Jones, comme s’il souhaitait de tout son cœur se trouver ailleurs, lors d’une projection des Affranchis de Martin Scorsese. Oui, dans ce film qui se fantasme héritier du cinéma de Scorsese, qui bénéficie même du soutien de ce dernier à la production, il pousse le vice jusqu’à cette séquence terrifiante pendant laquelle Robert De Niro regarde Les Affranchis les yeux pleins d’étoiles. Un peu comme si l’acteur contemplait son glorieux passé depuis son présent plus qu’embarrassant. Voilà qui résume parfaitement Malavita, il s’agit d’un film gênant d’un réalisateur qui a définitivement perdu le contrôle. Alors qu’il était le roi de la série B luxueuse, avec un sens de la mise en scène supérieur à une grande majorité de ses compatriotes, Luc Besson a dérivé encore et encore jusqu’à aboutir sur Malavita. Cette fois, c’est tout un dispositif de mise en scène clinquante au possible et de montage « cool » hérité de ses productions pour adolescents qui s’exprime pour glorifier des êtres répugnants en utilisant l’excuse de l’humour noir. Bien évidemment, le dispositif ne tient jamais la route, la faute à un script débile qui ne se donne même pas la peine de construire des personnages. Dès lors, impossible de s’attacher à qui que ce soit dans cette mascarade à la gloire des USA. Alors que Luc Besson singeait jadis le cinéma américain en prenant ce qu’il avait de meilleur, c’est ici tout l’inverse qui se produit. D’une grossièreté sans nom, pas très drôle et plombé par un rythme nonchalant, Malavita n’a pour lui que ses stars un peu paumées dans un océan de n’importe quoi qui se fantasme en parodie de film de gangsters, sans succès.
En voulant jouer à tout prix la carte du cool, Luc Besson en oublie de raconter une histoire qui tient debout, préférant aligner des séquences un peu bêtes et déjouant toute logique narrative. En gros, il prend cette famille en fuite sans jamais les faire se comporter comme des fuyards, comme s’ils étaient le mal incarné. Pourquoi pas, mais il faudrait pour cela un récit qui colle à ces personnages, leur donne un minimum de motivations, mais en s’appuyant sur une collection de clichés ambulants, il est bien difficile de trouver une quelconque cohérence. Malavita est parcouru de séquences d’un très mauvais goût tout en développant des clichés insupportables sur les français que le cinéma américain n’aurait même pas osés. Dans ce film, les américains, même s’ils sont des monstres, sont toujours très sympathiques, tandis que les français sont à peu près tous des beaufs, des bouseux ou des adolescents boutonneux qui cherchent à violer la petite américaine dès le premier jour. Cette vision de son propre pays, à la limite d’une forme de racisme anti-français, pose une vraie question sur le regard qu’y porte le réalisateur et ses efforts pour y développer quelque chose. Tout cela pourrait très bien passer via le prisme de l’humour noir et d’une certaine forme d’insolence, si seulement il y avait pour tenir l’ensemble un scénario digne de ce nom. Malheureusement, l’absence de rigueur d’écriture et le recours à des facilités (ou “heureuses coïncidences” gentiment honteuses) pour faire avancer un récit qui ne va nulle part finit d’enfoncer ce film grossier, dans lequel l’émotion prédominante est la tristesse de voir quelques si beaux acteurs se prêter à ce jeu dangereux. A ce titre, Robert De Niro livre une prestation loin d’être mauvaise et semble s’amuser comme un fou dans la peau de ce personnage dont les coups de colère violents ne sont jamais justifiés (si ce n’est pas sa nature de gangster, le niveau du machin en est là), dans un film qui ne sera finalement qu’une tache supplémentaire dans une carrière qui n’en avait vraiment pas besoin.