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Gravity (Alfonso Cuarón, 2013)

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Combien de films, depuis L’Arrivée d’un train en gare de La Ciotat, peuvent être vus aujourd’hui comme repensant en profondeur ce qu’est le cinéma ? Ce qu’il évoque et provoque ? Combien de films ont repoussé les limites du possible ? Combien ont apporté une véritable révolution technologique, visuelle et/ou narrative ? Une poignée, un seul par décennie tout au plus. Et bien à cette poignée, dont le dernier en date se nommait Avatar, vient s’ajouter Gravity. En plus d’être un film fondamentalement exceptionnel à tous les niveaux, il constitue un jalon essentiel dans l’histoire, une porte ouverte sur l’avenir et une expérience qui ne fait appel qu’à la grammaire du cinéma dans tout ce qu’elle a de plus pur pour permettre au spectateur de vivre quelque chose d’unique.

Des années de développement, une post-production interminable, une technologie élaborée exclusivement pour le film, extension de travaux effectués notamment sur L’étrange histoire de Benjamin Button, un pitch à haut risque, un casting étonnant et un réalisateur qui ne cesse de s’élever film après film. Gravity promettait beaucoup. Et le moins que l’on puisse dire est qu’il tient toutes ses promesses. Cela serait déjà amplement suffisant, sauf qu’Alfonso Cuarón va plus loin, beaucoup plus loin, vers des contrées que le cinéma n’avait pas encore explorées. Dès les premières secondes, le mot d’ordre est “immersion”. Immersion par le son bien sur, mais surtout par l’image. Gravity s’ouvre sur un plan séquence d’une dizaine de minutes qui projette immédiatement ses personnages, et par extension le spectateur, dans l’espace. Un décor plus vrai que nature pour des personnages qui le sont tout autant (alors qu’ils sont en majorité animés, exception faite de leurs visages captés sur le lightstage), que la mise en scène sublime en un éclair. La caméra ultra mobile d’Alfonso Cuarón entame un ballet vertigineux, frôle le métal et la chair dans les combinaisons, s’égare comme émerveillée par les visions hypnotisantes de la Terre vue d’en haut et du cosmos, puis continue sa danse. La maestria du réalisateur dans l’élaboration de plans-séquences (il y en deux monstrueux dans Les Fils de l’homme) est à nouveau mise à contribution non pas pour la démonstration technique mais comme outil purement narratif.

Gravity 3 Gravity (Alfonso Cuarón, 2013)

En effet ce plan d’ouverture, magistral, permet à la fois de poser les enjeux dramatiques du film, l’évolution de son mouvement étant intimement liée aux évènements par son accélération dès que sonne l’alerte, mais également de définir en profondeur les personnages. A savoir un astronaute expérimenté et jovial, chef de mission dans toute sa splendeur, et une débutante dans l’exercice dont l’application et la volonté de terminer sa mission malgré le danger imminent traduit un mal-être profond. Avec seulement deux personnages dans le cadre et un seul décor principal (pour un total de décors tenant sur les doigts d’une seule main) il était nécessaire de développer un scénario plus que solide pour parvenir à captiver le spectateur pendant 1h30. C’est exactement ce qu’ont réussi à faire Alfonso Cuarón et son fils Jonás, en parvenant à transformer cette expérience d’évasion dans l’espace en un mélodrame bouleversant qui brasse une multitude de propos fondamentaux sans jamais oublier que le cinéma se doit de faire vivre quelque chose au public, que l’écran est une projection de ses rêves et cauchemars, qu’il se rend dans une salle pour se divertir mais surtout pour être bousculé. En l’occurrence, Gravity réussit ce mariage idéal, recette d’alchimiste parfaite qui fait se rencontrer un récit à la fois simple en apparence et vertigineux dans ses considérations, avec une expérience de cinéma totale, qui repousse les limites du possible. Grâce à Alfonso Cuarón, il est ainsi possible, 1h30 durant, de vivre ce vieux rêve de flotter dans l’espace. La notion d’immersion trouve là une nouvelle définition tant le réalisme est poussé à l’extrême, mais elle est surtout le résultat d’une mise en scène étourdissante qui utilise intelligemment la caméra subjective et colle aux basques de ses personnages jusqu’à donner la sensation d’être à la fois témoin et acteur de l’action. Ce qui provoque assez logiquement un tourbillon de sensations de l’ordre du jamais vu.

Gravity 2 Gravity (Alfonso Cuarón, 2013)

L’immersion au cinéma repose sur un principe assez simple : il faut y croire. C’est ce qu’avait bien compris James Cameron avec Avatar, où la 3D venait encore appuyer la sensation d’être projeté dans un univers bien réel, due au niveau de détail de l’environnement mais également à l’utilisation de la performance capture permettant à des acteurs de donner vie à des créatures imaginaires. C’est ce que perfectionne Alfonso Cuarón. En effet, si les secrets de production du film n’avaient pas été dévoilés en détails, il serait plutôt simple de tomber dans le panneau en croyant que tout a été tourné dans l’espace. La performance technologique en est là. Elle est non seulement le fruit d’un travail de titans effectué par les équipes de Framestore mais également d’Emmanuel Lubezki, directeur de la photographie volant tout droit vers son premier Oscar, qui capte l’espace comme il ne l’a jamais été. Alors que jusqu’à aujourd’hui, la référence en terme d’images spatiales restait 2001, l’odyssée de l’espace, Gravity vient imposer son hyper réalisme et risque de s’installer à cette place pour longtemps. Jamais l’espace n’avait été aussi beau au cinéma, jamais la sensation d’y être projeté n’avait été si forte. Il tient dans le film un place majeure, celle d’un personnage à part entière, qui enveloppe les personnages, les avale, mais permet surtout de catalyser leur inconscient et leurs peurs. Le déploiement d’une technologie hors du commun est ici au service d’une histoire, en même temps qu’il favorise un cinéma purement expérimental dans lequel le spectateur va subir quelque chose d’inédit. Entre accélérations du rythme cardiaque, pauses extatiques, sueurs froides et larmes au bord des yeux, l’expérience que constitue Gravity en terme d’immersion est colossale. C’est d’autant plus fort qu’Alfonso Cuarón ne cherche jamais l’artifice pour appuyer la dramaturgie, à l’image de son refus d’utiliser le son (qui ne peut pas se propager dans l’espace) auquel il substitue seulement l’écho sourd parvenant aux systèmes de communication des astronautes, soit des vibrations. Le danger dans l’espace est silencieux, les catastrophes s’y enchainent dans un silence de mort et le spectateur se retrouve forcé à repenser sa position en scrutant le cadre dans la peur d’un débris, propulsé encore un peu plus dans la peau des personnages. Gravity provoque l’effroi car le film élabore une nouvelle grammaire cinématographique, brisant à peu près tous les repères habituels du cinéma. Un exemple frappant est ce plan pendant lequel un personnage dévisse un boulon qui lui échappe, tend sa main pour le rattraper tout en tournant son regard qui aperçoit tout à coup un nouveau danger en approche. C’est d’une efficacité terrible.

Gravity 1 Gravity (Alfonso Cuarón, 2013)

Avec si peu de sons, des dialogues suffisamment intelligents pour ne pas guider la dramaturgie, et une bande originale qui sait se faire discrète avant de souligner élégamment des évènements majeurs, Alfonso Cuarón n’a pas d’autre solution que d’élaborer un dispositif de mise en scène d’un genre nouveau. Il s’agit en fait d’un retour aux origines, une foi absolue en le pouvoir de l’image pour raconter une histoire. Gravity redéfinit ainsi les règles du survival, en devenant le modèle du genre qui parait déjà indétrônable, mais pour mieux élaborer un discours bien plus terre à terre. C’est là que se situe le tour de force d’un film qui n’aurait pu être qu’un défi technologique, une bande démo ou un simple film-concept. Derrière les apparences se cache un film merveilleux sur une femme en plein processus de deuil. Alfonso Cuarón use d’une symbolique forte, chaque élément se transformant en une gigantesque allégorie qui prendra tout son sens lors d’un dernier acte proprement bouleversant. De la même façon que Les Fils de l’homme, Gravity est un film porté par la notion d’espoir, l’espoir de s’en sortir étant ici celui de faire la paix avec soi-même. Cuarón envisage le deuil comme une renaissance et utilise une iconographie très élaborée pour étayer son propos, donnant lieu à des images d’une puissance assez folle malgré leur simplicité apparente (voir ce plan fœtal libérateur) . Le plan final, magnifique, est à ce titre un exemple de ce qu’est le pouvoir de l’image de cinéma lorsqu’elle est utilisée par un metteur en scène capable de lui donner du sens. Gravity est ainsi une sorte de quête, une aventure intérieure utilisant l’immensité enivrante de l’espace comme un terrain d’exploration universel. Les personnages, malgré leur substance et la qualité de leur écriture, finissent par s’effacer pour devenir des mythes, figures universelles entraînant des questionnements allant du basique au métaphysique. Non seulement on ressort de Gravity le palpitant en ébullition, les yeux rouges et la tête dans les nuages, de par l’expérience physique et émotionnelle que le fil propose, et par la maîtrise totale de la narration (diabolique car éreintante, malgré les plages d’accalmie et séquences oniriques), mais également avec la sensation d’avoir entamé un dialogue avec soi-même à travers le personnage de Sandra Bullock, absolument parfaite dans ce rôle (et dont la captation du visage donne un résultat assez hallucinant). Le tout emballé dans une proposition de cinéma qui semble venir tout droit du futur, où chaque détail semble en osmose totale avec le projet global. Le résultat est un ballet étourdissant, vertigineux, unique, à tous les niveaux.


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