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9 mois ferme (Albert Dupontel, 2013)

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Étrange Festival 2013 : avant première.

Avec 9 mois ferme, Albert Dupontel confirme que Le Vilain n’était qu’une inoffensive faute de parcours. Il retrouve toute sa verve et garde son sens inné de la mise en scène, son érudition cinéphile et son goût pour le mélange des genres ambitieux. Attendu au tournant, il livre non seulement le film le plus drôle produit en France depuis des lustres mais surtout un nouveau drame bizarroïde et tranchant, fait de fulgurances assassines et de bons mots, sorte de fable punk qui détonne dans une production française globalement flemmarde.

Véritable monstre sur scène, immense acteur capable d’endosser tous les rôles, Albert Dupontel s’est imposé depuis plus de 20 ans et son génial court métrage Désiré comme un metteur en scène et auteur hors pair. Non seulement il s’est forgé un univers graphique fait d’influences toutes plus nobles les unes que les autres, mais il s’est montré comme une sorte de surdoué punk au niveau de ses créations. Avec le culte Bernie et son chef d’œuvre Le Créateur, il a en quelques années imposé sa patte avant de baisser le rythme et de devenir un auteur rare, sans doute en proie à un système qui ne glorifie jamais ceux qui ne restent pas dans les clous. Et si Enfermés dehors poussait le délire graphique dans ses derniers retranchements, Le Vilain marquait un léger coup d’arrêt. Trop sage, trop “grand public”, ne restait que cette faculté à raconter une histoire par l’image toujours aussi maîtrisée. 9 mois ferme c’est le retour du Dupontel incisif et méchant, mais toujours aussi tendre avec ses personnages, jonglant entre un propos multiple sur la société qui l’entoure et un humour noir à l’efficacité tranchante. Un film qui porte la marque de son auteur et sur lequel plane l’ombre du Créateur, film génial et four incompréhensible au box-office.

9 mois ferme 2 9 mois ferme (Albert Dupontel, 2013)

Le Créateur s’ouvrait sur un plan séquence assez monstrueux, et il en est de même pour 9 mois ferme. Un plan virevoltant qui trace l’espace d’une fête entre magistrats, passe par l’extérieur du bâtiment pour venir définir en un éclair le personnage interprété par Sandrine Kiberlain. La suite est une comédie noire – ou un “drame rigolo” comme se plait à le dire Albert Dupontel – qui renoue avec la verve des premiers films du réalisateur. Et si l’auto-citation est de mise, qu’il s’agisse d’idées de mise en scène ou de séquences clins d’œils (le pipi qui provoque un court-circuit), 9 mois ferme est avant tout une création follement originale qui lie grossesse, injustice du système judiciaire et fable très noire autour d’un tueur/voleur globophage1. Si le film fonctionne aussi pleinement, c’est qu’il s’articule autour d’une structure finement élaborée jouant sur l’avance du spectateur par rapport au personnage d’Albert Dupontel. En effet, le point de vue choisi est celui d’Ariane, possédant un temps d’avance. Entre non-dits, éclats de colère incompréhensibles pour un des personnages, moments d’émotion intenses et séquences tantôt tragiques tantôt extrêmement gores, le film avance sa singularité en bandoulière. Ne ressemblant à personne d’autre qu’à lui-même, Albert Dupontel a parfaitement assimilé tout ce qui a forgé son envie de cinéma et modèle une œuvre d’une cohérence extrême. On retrouve donc logiquement, et de façon tout à fait naturelle, l’utilisation d’apparats directement hérités des Monty Python. Et en particulier cette obsession pour gaver le cadre d’éléments qui rendent une seconde vision quasiment obligatoire. Par exemple, chaque flash info du film donne lieu à des bandeaux défilants qui regorgent de blagues dopées à l’humour noir, voire trash, ou encore chaque caméo (et ils sont tous savoureux) va au-delà de la simple apparition pour jouer intelligemment avec l’image de l’acteur concerné. Ce sens du détail fait du nouveau film d’Albert Dupontel une œuvre fascinante car rien n’y est laissé au hasard, tout transpire la maîtrise extrême pour construire ce qui ressemble à un joyeux bordel. Dompter le chaos et lui donner du sens, c’est la marque d’un réalisateur hors pair.

9 mois ferme 3 9 mois ferme (Albert Dupontel, 2013)

Loin d’être un film “taré et débile”, 9 mois ferme aborde tous ses sujets avec une belle justesse, développant une trame étonnante entre la crise de rire et le tragique. Tout est question de tempo et d’idées dans l’humour, et à ce jeu Albert Dupontel est très fort. Sans grande surprise, il s’agit du film le plus drôle vu depuis bien longtemps, mais en même temps d’un des plus cruels. C’était déjà le cas dans ses films précédents et il reste en arrière-plan une forme de gravité qui pousse le spectateur à se pencher sur son rire instinctif. Il serait si facile de tomber dans un humour beauf et vulgaire, mais il y échappe en équilibrant toujours ses séquences, à l’image de la présence de Bouli Lanners pour commenter les images retrouvées de la soirée. 9 mois ferme, derrière sa folie douce, derrière ses flambées de violence soudaines (autre marque distinctive du cinéma de Dupontel) et ses séquences outrancières qui semblent sortir d’un dessin animé, est un film incroyablement élégant. Élégant de par sa narration, fruit d’un découpage extrêmement élaboré, qui donne lieu à de belles idées pour repenser les ellipses (des images de vidéosurveillance en accéléré) et proposer des séquences toujours plus ludiques (la bio express de Bob). Élégant de par son montage, complexe et fruit d’une rythmique absolument parfaite. Mais surtout élégant dans sa mise en scène. Albert Dupontel y déploie une grammaire cinématographique très élaborée, faite d’énormément de mouvements et d’un sens du cadre redoutable. Et si le réalisateur se revendique amoureux de l’image, il ne tombe pas pour autant dans la démonstration gratuite. Chaque artifice se fait l’écho d’un point de vue ou d’un évènement lié à la narration. Par exemple, il s’amuse à décadrer au fur et à mesure que le personnage de Sandrine Kiberlain voit sa situation s’empirer, tandis que les cadres étaient très droits au départ. De la même façon, un dialogue filmé en plan large entre les deux “héros” voit son cadre se pencher selon que son personnage à elle se situe à gauche ou à droite du cadre. Des subtilités qui ponctuent un dispositif de mise en scène plutôt impressionnant, et tellement rare en France dès lors qu’il s’agit de faire rire le public. Le film est fou, pétillant, avec un côté clairement punk, et ajoute à ses tours de force techniques des prestations d’acteurs formidables. Tous dans l’outrance cadrée, ils livrent des performances assez géniales et surtout très drôles, en transcendant les archétypes dans lesquels ils s’inscrivent. Le prodige en marge du système est de retour, il est méchamment drôle et n’a rien perdu de sa maestria. Alors si en plus il a des choses à dire pour pointer par l’absurde les failles d’un système ou traiter avec lucidité la psychologie de la grossesse, il y a de quoi se réjouir.

  1. qui mange des globes oculaires

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