Annoncé comme une saga mafieuse extrêmement luxueuse, de par son casting, son auteur, et un réalisateur capable de très belles choses, Gibraltar n’est malheureusement jamais à la hauteur de ses ambitions. Électroencéphalogramme plat, manque d’ampleur général, personnages inconsistants et récit sans surprise, le troisième film de Julien Leclercq marque un étonnant coup d’arrêt dans une courte filmographie pourtant sur une ligne ascendante. Dommage, car la sensation qui persiste est celle d’un énorme potentiel complètement gâché.
Gibraltar est, sur le papier, la promesse d’une fresque mafieuse formidable, qui plus est puisée dans une histoire vraie complètement folle. Avec pour sa transposition la présence du talentueux Abdel Raouf Dafri à l’écriture, il y avait de quoi s’attendre à un récit riche et solide. Malheureusement, il est cette fois seul aux commandes du scénario et cela semble pointer du doigt une de ses faiblesses : la nécessité que ses scripts soient retravaillés pour pouvoir être exploités à l’écran. Si, dans le fond, le récit en lui-même n’est pas un problème dans Gibraltar, c’est bien son traitement qui pêche. Qui dit saga mafieuse, d’autant plus à un carrefour des civilisations tel que Gibraltar dans les années 80, dit un minimum d’ampleur afin de procurer une certaine envolée pour captiver le spectateur et provoquer une empathie. Las, la structure du récit est une succession de séquence avortées au moment où elles allaient décoller, comme si Julien Leclercq avait peur de trop en faire. En jouant la carte de la sobriété avant tout, il parvient à créer une ambiance, à faire renaître un univers un brin factice mais fonctionnant parfaitement dans l’optique d’un film de genre, mais il peine à raconter une histoire. La conséquence est malheureuse, le film ne décolle jamais et semble donc durer des plombes, déroulant un récit sans grande surprise en mode automatique.
Il faut le talent de conteur de David Fincher ou de Bong Joon-ho pour parvenir à passionner avec une trame si linéaire, chose qui manque cruellement à Julien Leclercq. En résulte un thriller mollasson sans véritable zone de tension, qui avance de façon documentée, solide, mais sans aucune folie. Par ailleurs, si des séquences entières semblent avortées, il en va de même pour quelques pistes de réflexion qu’entame le film avant de les abandonner purement et simplement. Tout d’abord, il semble s’imposer, et ce dès le générique, un propos établi autour de l’argent. Sa quête, la soif qu’il entraîne, etc. Et si le personnage incarné par Gilles Lellouche est en effet obsédé par les billets verts, le sujet finit par s’évaporer en un clin d’œil au fur et à mesure que l’intrigue principale s’emballe (relativement). De la même façon se met en place délicatement quelque chose de complexe entre le frère et la sœur, relation qui va prendre une toute autre ampleur dès lors que celle-ci fricote avec un bad boy. Il y a matière à développer un vrai propos ambigu sur la famille, sur l’honneur, sur les valeurs des voyous, mais là encore le tout est évacué sans crier gare en une scène. Il ne fait aucun doute que le seul sujet qui intéresse les auteurs est celui de Marc Duval, qui en acceptant un pacte avec le Diable devient l’instrument d’une mécanique qui le dépasse. Et il est vrai que son statut de marionnette, manipulée par une multitude de marionnettistes, constitue une matière cinématographique digne d’intérêt pour un exercice de narration. Las, en ne trouvant jamais son rythme, l’histoire de cet homme, sans doute incroyable au demeurant, ne provoque qu’un ennui poli.
Il y a bien de quoi se consoler avec une reconstitution qui ne manque ni de classe ni de précision, un parti-pris graphique une fois de plus radical avec une photographie complexe et une utilisation des couleurs à contre-courant. Il y a cette mise en scène toujours très propre de Julien Leclercq, technicien émérite qui aime l’image et le montre, livrant quelques séquences toujours efficaces en terme de découpage de l’action, avec un vrai soin apporté aux cadres. Il y a Gilles Lellouche qui livre une prestation solide et Riccardo Scamarcio et sa belle gueule qui se glisse à nouveau dans la peau d’un gangster italien assez flamboyant. Mais il y a ces innombrables clichés. Il y a cette narration qui fait du surplace. Il y a Tahar Rahim, erreur de casting monumentale pour son rôle. Il y a ces dialogues imbuvables et ces acteurs souvent très faux. Enfin, il y a ce propos facile, mal amené, limite grossier, concernant l’administration française en général et le service des douanes en particulier. Tous des cons, des faibles, des manipulateurs ou des égoïstes cherchant à sauver leur peau. Il était sans doute possible de faire plus fin et moins populiste, surtout quand les personnages sont taillés par celui qui a su si bien aborder Mesrine et sa complexité morale. Gibraltar se rêve évidemment en thriller héritier des 70′s, à l’époque où le genre se permettait de prendre son temps sans ennuyer pour autant, mais il n’en est rien et ne peut ainsi que décevoir. Autant revoir La Taupe, qui sans la moindre précipitation, mais avec un sens aigu de la narration, parvenait lui à passionner sans que le temps ne paraisse si long.