Après l’aparté Scott Pilgrim, le petit génie Edgar Wright revient au royaume de sa majesté pour livrer un point final à sa désormais célèbre “trilogie Cornetto”. Le Dernier pub avant la fin du monde est non seulement la conclusion rêvée, preuve d’une continuité et d’une cohérence remarquables, mais avant tout un film follement ambitieux jonglant avec brio entre un humour cinglant, un sens du spectaculaire toujours plus impressionnant et une émotion à fleur de peau. Sans en avoir l’air, Edgar Wright renvoie dans les cordes la plupart des comédies dépressives US auto-proclamées miroir des quarantenaires, montrant à quel point l’auteur sait évoluer en même temps que ses acteurs et ses personnages.
Il va falloir passer outre un titre français ringard au possible, car Le Dernier pub avant la fin du monde (on perd le double sens du titre original “The World’s End”) est bien le film-évènement attendu, de l’été bien sur mais également de l’année. Car le dernier né d’Edgar Wright, un des cinéastes les plus doués de sa génération, est un film d’une richesse assez incroyable, aussi bien en terme de récit que de mise en scène. En un sens, il vient mettre un point final à une trilogie dépeignant des grands enfants, et s’adressant également à eux. Mais un point final étrangement noir cette fois, bien que l’auteur reste un véritable optimiste. Car si Shaun of the Dead et Hot Fuzz partaient d’une situation tragicomique pour rapidement la faire évoluer vers une sorte de quête initiatique pour trouver l’amour ou l’amitié comme moteur vital, Le Dernier pub avant la fin du monde adopte un sous-texte franchement tragique qui ne s’efface que lors du dernier acte. Et même pas complètement. Il est ici question d’un homme qui se rêvait roi, qui le fut dans sa jeunesse (ou du moins en garda l’illusion) et qui, aveuglé par ce glorieux passé, a refusé de grandir. Un esprit d’adolescent emprisonné dans un corps de quarantenaire, le motif n’a rien de bien nouveau, contrairement à ce qu’en font Edgar Wright et Simon Pegg. Ils transforment cette réunion de vieux amis en une aventure qui se situe entre le récit chevaleresque et la quête mystique, à la manière des légendes médiévales britanniques et en particulier la légende du roi Arthur et la quête du graal. En y faisant ouvertement référence, Edgar Wright détache immédiatement son film du réel pour l’ancrer dans le récit symbolique, voire la projection mentale.
En effet, la frontière du réel n’est-elle pas largement brisée dès lors que des personnages portent, un peu à la manière de Matrix, des noms-fonctions (King, Prince, Knightl(e)y, Chamberlain, Shephard…) qui influent sur leur comportement et l’interaction entre les personnages ? Ou encore lorsque les différents lieux de l’action, à savoir une succession de bars, leur nom et leur logo, définissent assez précisément l’action qui va s’y dérouler ? C’est sans doute là, dans la complexité de son dispositif narratif qui dépasse allègrement le cadre du gentil défi pour geeks hardcores, que Le Dernier pub avant la fin du monde dévoile sa plus grande ambition. Et il ne s’agit pas d’une sorte d’artifice gratuit car le héros, Gary King, est un homme adulte clairement perturbé mentalement, et surtout pensant comme un enfant. Et l’activité naturelle d’un enfant sain d’esprit est de stimuler son imaginaire, de l’explorer, en s’inventant des mondes entiers et des histoires (de héros et de chevaliers ?), soit exactement ce que semble reproduire Gary King. Le Dernier pub avant la fin du monde va donc bien plus loin que l’habile mélange des genres auquel nous avait habitué Edgar Wright. Il ne s’agit pas simplement de mélanger comédie dépressive et alcoolisée avec de la science-fiction à l’ancienne, car il était attendu là-dessus, mais de surprendre son public en proposant un niveau de lecture étonnant et en totale cohérence avec la caractérisation de ses personnages. Cependant, il n’est pas nécessaire d’intellectualiser le dispositif pour y trouver son compte. Car en première lecture, Le Dernier pub avant la fin du monde représente un morceau de cinéma déjà plus que conséquent. Edgar Wright parvient une fois de plus à capter la détresse de l’être humain face à la figure de l’adulte qu’il est devenu, en l’opposant à celle qu’il fantasmait. Cela donne lieu, dans les faits, à la peinture d’une galerie de personnages loin d’être figés et évoluant constamment avec l’intrigue. Des motifs attendus sont complètement brisés et réinventés, à l’image de la sacro-sainte relation entre Simon Pegg et Nick Frost, et chaque adulte finit par faire tomber le masque et dévoiler celui qu’il rêvait de devenir. Le chemin que la bande du film va parcourir est celui vers l’analyse, une sorte de libération du soi. La fin du monde et la survie sont le cadre idéal pour débarrasser des personnages de tous leurs apparats et en extraire la substantifique moelle.
Le Dernier pub avant la fin du monde, c’est également, sans surprise par contre, un modèle de comédie à l’anglaise. Cela car Edgar Wright y inclue bien volontiers des figures en provenance de la comédie américaine. Ainsi, entre l’humour pince-sans-rire, le ton souvent dépressif et les gags graphiques, c’est un petit festival. Le plus épatant restant le tempo comique, en réponse au rythme général du film ne faiblissant jamais, imposé par le débit de Simon Pegg. L’acteur est un monstre sur ce terrain et il électrise en permanence la pellicule, ajoutant aux nuances de son personnage cette rythmique si précise. De précision, il en est toujours autant question chez Edgar Wright qui, s’il laisse moins déborder ses idées que sur Scott Pilgrim, livre un nouveau modèle de mise en scène et de narration. Premier film de la trilogie monté par Paul Machliss, monteur sur son film précédent mais surtout sur la série Spaced, Le Dernier pub avant la fin du monde impressionne par sa rigueur à ce niveau. Et ce qu’il s’agisse des séquences d’exposition, de simples passages dialogués ou des scènes d’action. Ces dernières sont par ailleurs franchement impressionnantes, qu’il s’agisse du final ou de la grosse baston du Beehive, petit monument de chorégraphie et de gestion de l’espace, ou encore d’un bel hommage au zui quan (la boxe de l’homme ivre) avec un Simon Pegg se bastonnant en essayant de ne pas renverser sa bière, comme jadis Jackie Chan avec sa cruche de vin. Quant à l’aspect science-fiction, il est abondamment présent. Une SF à l’ancienne, façon Invasion Los Angeles ou L’invasion des profanateurs de sépulture, qui se fait l’écho d’une uniformisation massive et d’une forme de lobotomie générale appliquée à l’Angleterre (le “starbucking” des pubs en est le penchant réaliste). Edgar Wright jongle donc à nouveau entre les genres, aussi habile dans la comédie pure que dans la SF, et signe avec Le Dernier pub avant la fin du monde un film à la fois généreux (par ses références, ses clins d’œils à ses fans et sa rythmique), intelligent de par ce qu’il est capable de raconter sur le déni du passage à l’âge adulte et très ambitieux à tous les niveaux. Il n’en fallait pas moins pour conclure une si belle trilogie.