S’il fallait une preuve supplémentaire que l’Espagne domine assez largement la production européenne au niveau du cinéma de genre, les frères Pastor l’apportent joliment avec Les Derniers jours, leur nouveau post-apo ibérique qui transcende un budget limité simplement par de bonnes idées d’écriture et une mise en scène appliquée. Et bien que le film arrive tard dans cette grande vague de films sur la fin du monde, ou de contagions diverses et variées, il apporte une sensibilité qu’aucun n’avait jusque là effleuré. En résulte un film clairement intelligent, car mettant à profit le moindre euro dépensé pour étayer un discours solide et aller bien au delà du simple “genre”.
Infectés l’annonçait, parfois maladroitement, les frères Pastor sont doués pour transformer un petit budget en un film qui semble coûter bien plus, pour gérer les espaces clos et pour générer une sensation d’étouffement. Avec Les Derniers jours, ils passent à la vitesse supérieure tout en restant fidèles à ce qui caractérise déjà leur cinéma. A savoir une émotion à fleur de peau, un goût pour les lieux confinés, une obsession du détail lorsqu’il est question d’aborder le thème de la survie et une volonté d’autopsier au plus juste les rapports humains face à une catastrophe. Loin d’un énième film post-apocalyptique fauché qui recyclerait pour la millième fois des motifs bien connus, Les Derniers jours va globalement refuser le spectaculaire pour se concentrer sur l’évolution de l’homme, ou sa régression. Un refus qui passe par un autre, celui de rationaliser les évènements et de donner une cause précise, préférant laisser le spectateur se faire sa propre idée parmi les différentes hypothèses énoncées. Une idée ouvertement reprise des Fils de l’homme, un film avec lequel Les Derniers jours partage bien plus que cela, et notamment un rythme posé qui ne s’accélère qu’en de rares occasions pour alimenter la progression narrative, une sensibilité toute latine et un grand thème, celui de l’espoir, passant symboliquement par celui de la paternité.
De son ouverture onirique à souhait, filmant l’apocalypse depuis des bureaux lambda, à son final rempli d’une puissante émotion, Les Derniers jours prend des chemins de traverse pour aborder son sujet sous un angle nouveau. Et le sujet n’est pas tant la fin du monde ou une étrange contamination que la fin d’une civilisation pour en bâtir une nouvelle. Le film prend la forme audacieuse d’un buddy movie désenchanté, extrêmement noir et désespéré dans un ton qui n’est pas sans rappeler celui de La Route. Buddy movie car le récit est articulé autour d’un duo de personnage forcés de s’unir alors qu’ils sont de véritables ennemis naturels, à savoir un programmeur informatique qui peine à tenir ses délais, un type qui donne tout à son travail sans pour autant y briller, et un directeur des ressources humaines envoyé dans cette entreprise pour tailler violemment dans le personnel, à tel point qu’il est surnommé “le Terminator”. La recette du buddy movie classique, à savoir une association de personnages improbable, est ainsi respectée, mais l’humour en est presque totalement expurgé. A la place, c’est une association qui démarre comme une contrainte, une nécessité pour la survie, pour bâtir ensuite quelque chose de fort, entre respect et amitié, entre deux hommes qui sont en tous points détestables. Il s’agit là d’un joli tour de force car l’empathie pour les deux est à priori difficile, sauf que la qualité de l’écriture comme de l’interprétation, du grand José Coronado comme de l’excellent Quim Gutiérrez, permet de s’y attacher au fur et à mesure que l’émotion prend le pas sur tout le reste. Les ruptures de ton font tout le cœur des Derniers jours, rendant le film presque insaisissable, au carrefour entre divers courants, tandis que la construction articulée autour de flashbacks, jamais gratuits et alimentant toujours la narration, traduit par l’image ces ruptures.
Il sera toujours possible de reprocher au film certains effets visuels ratés, une mise en scène parfois un brin démonstrative ou une symbolique très appuyée, mais il n’empêche que les frères Pastor parviennent à jongler très habilement avec les moyens mis à disposition, et ne s’expriment qu’à travers le langage cinématographique pour transcender ce manque. Ainsi, qu’il s’agisse d’affronter une bête sauvage dans LE symbole du lieu de refuge, de se nourrir d’hosties ou de faire un feu, pour se nourrir, en utilisant des billets de banques, Les Derniers jours marque à sa manière, avec un premier degré absolu, une vision de la fin de la civilisation capitaliste. Cela se traduit par un retour aux sources de l’humanité pour permettre de construire de nouvelles fondations, à travers une génération pas encore corrompue par 200000 ans d’évolution. En parallèle, le film établit un discours frondeur en utilisant un mode de contamination inédit et un mal qui transforme l’agoraphobie en cause de décès. Là encore, en situant le film dans une Barcelone pourtant symbole erroné de vie et de communication, c’est l’évolution d’une société complètement vrillée par l’absence de communication qui est visée. Les hommes ne se parlent plus, ne se mélangent plus, se contentent d’une triste routine sans ambition sur l’avenir, la contamination est ainsi le prix à payer pour cette déshumanisation progressive. Évidemment, le propos est d’une tristesse infinie et le film adopte une rythmique qui lui fait écho, ponctuée de séquences formidables qui haussent ainsi le rythme. Une course poursuite pour récupérer un GPS vital, une bataille en plan séquence dans le dernier bastion consumériste (le centre commercial, motif universel), une poignée de scènes qui créent une tension palpable, autant de moments qui ajoutent à cette fable les éléments nécessaires à créer de l’ampleur. Souvent intimiste, parfois spectaculaire, puis d’une émotion incroyablement intense dans son final, porté par un dispositif de mise en scène très élaboré et des visions d’apocalypse tétanisantes, Les Derniers jours s’impose comme une belle variation autour de thèmes bien connus, complètement revisités pour livrer un discours fondamental sur l’espoir et l’acceptation de la paternité.