Xavier Dolan agace. Il agace par sa jeunesse, par le fait qu’il soit parvenu à réaliser 5 longs-métrages à 25 ans, par son style, sa posture, son côté prétentieux supposé. Ce serait pourtant mal connaître l’animal que de le cantonner à une vaine étiquette (réal LGBT, auteuriste, québécois, abonné cannois, pick one) tant il se distingue par une ambition sincère de sortir de ses zones de confort tout en voulant parler à de plus larges publics de film en film. En témoigne Tom à la ferme, pur film d’artisan de la mise-en-scène, au sens le plus humble du terme.
Aux yeux d’un cinéphile de genre, Tom à la ferme est un sacré rafraîchissement, surtout venant d’un réalisateur surestimé dès ses débuts comme « jeune prodige » et intronisé naturellement dans la frange auteuriste des films de festival.
Xavier Dolan prend en effet à contre-courant les attentes de ses fans en se tournant vers cette adaptation d’une pièce de théâtre en pur thriller et continue un tournant amorcé par le fabuleux Laurence Anyways, en resserrant sa maîtrise technique et son découpage plutôt que ses mots. Il se révèle même un bon élève cinéphile en citant -consciemment ou pas- des maîtres en la matière, en passant par Jack Clayton, John Carpenter, Alfred Hitchcock et même le Shining de Stanley Kubrick auquel il vole intelligemment certains plans en récupérant en partie leur signification.
Il a compris que le cinéma de genre était vecteur de l’imaginaire et pouvait véhiculer des idées de manière forte par l’image et on sent tout le métrage baignant dans la volonté de viser l’efficacité. Tom à la ferme raconte ainsi comment Tom va rejoindre la famille de son mec, mort il y a peu, la veille de son enterrement. La mère du défunt ignorant tout de l’homosexualité de son fils, le frère aîné de celui-ci, Francis, menace Tom pour qu’il ne révèle pas à la mère qui était vraiment celui qui partageait sa vie. Très vite, l’intrigue se resserre sur le rapport de domination et de manipulation entre Francis et Tom, le premier incarnant la figure du tueur physiquement imposant, filmé comme un cousin québécois de Michael Myers et le second remplissant le rôle de la « Final Girl » comme le désigne le code du slasher, « celle » qui devra tout faire pour survivre au tueur.
Cerise sur le gâteau, Dolan s’amuse à interpréter son héros en revêtant une grande chevelure blonde, qui, si il renvoie à la fois à la figure de la blonde hitchcockienne et peut-être à la signification du mot « blonde » en québécois (traduction : copine), donne surtout au film son image-signature, Tom se cachant au milieu des champs de maïs d’octobre, leur couleur terne se mêlant parfaitement à sa teinture improbable.
Tom à la ferme navigue donc, entre thriller, horreur et slasher, le tout mêlé à un pur drame intimiste (4 personnages principaux, 10 rôles parlants en tout) en huis-clos, où la violence prend par surprise, parfois au détour d’un simple dialogue, ou parfois simplement évoqué par une ellipse. Tom se retrouve prisonnier du tortionnaire qu’est Francis, brute beauf des campagnes symbolisant à merveille le poids écrasant de l’homophobie et les deux rentrent dans un jeu psychologique où chacun finit par ressentir un besoin irrationnel de l’autre en traversant l’épreuve du deuil et du manque de celui qui n’est plus là. L’intrigue est plutôt bien construite et assez subtile, permettant de faire émerger des nuances complexes dans les personnages. Mais le meilleur c’est que Dolan s’en sert comme d’un pur exercice de réalisation à 3 moments-clés de l’histoire, où il fait basculer le 1.85 (ce format bâtard trop adapté aux films de dialogues pour être honnête) dans un 2.35 purement cinégénique qui resserre toute la tension du film et décuple la beauté des raccords, fait envoler les cadres convenus vers une réal vraiment inspirée et transcende l’histoire pour donner des moments de cinéma pur.
Hélas, mille fois hélas, tout le film est loin de garder cette qualité sur la longueur, dans l’écriture, l’interprétation ou la réalisation et il manque encore à Dolan un peu de maîtrise pour parvenir à tutoyer les cimes du genre. Ici ou là, on est embarrassés par un plan raté, par une scène sous-exposée ou mal étalonnée (voire pas étalonnée du tout ?), par un raccord redondant, ou des cadres pas assez larges pour laisser les décors et l’immensité des campagnes québécoises cerner les compositions pour mieux emprisonner les personnages et les écraser dans leur enfers intimes. L’écriture « pièce de théâtre » se ressent de temps en temps, le jeu des acteurs n’est pas irréprochable, même si Dolan lui-même s’est vraiment amélioré depuis Les Amours Imaginaires et J’ai tué ma mère.
Mais dans l’ensemble on en retire un film original par une rencontre harmonieuse entre le drame apparenté LGBT et le genre tirée vers le haut par une volonté sincère de bien faire. Dolan démontre avec efficacité la part de folie et de monstruosité ancrée dans l’homophobie, qui est toujours un rappel important et pertinent, d’autant plus quand il se justifie artistiquement. Alors certes, on est loin d’un très grand film, mais il permet à son réalisateur de s’affranchir de sa bulle et, si il est assez malin pour persister dans cette voie, ne demande qu’à s’améliorer. Un cinéma d’auteur qui s’ouvre hors de ses sentiers ? Voilà qui mérite respect et patience.
Après tout, Rome ne s’est pas faite en un jour. Et Montréal non plus, probablement.