Après un premier essai des plus concluants sous forme de note d’intention de tout son cinéma, Christophe Gans remettait le couvert 6 ans après Crying Freeman avec ce Pacte des loups tant attendu et ayant tant souffert à sa sortie. Aujourd’hui, il en reste un film à l’ambition démesurée mais un exercice de style passionnant, une nouvelle fois au carrefour d’innombrables centres culturels. Une œuvre monstrueuse, pétrie de problèmes franchement agaçants mais au final tellement sincère qu’elle reste impressionnante.
L’ambition première du Pacte des loups, film à la production problématique, au tournage parfois chaotique et à l’accueil critique globalement glacial, est clairement de renouer avec un cinéma d’aventure ample et spectaculaire, entièrement tourné vers le public. C’est une des forces de Christophe Gans, il fait partie du public pour lequel il fait des films, il filme ce qu’il aime et l’expérience est donc en osmose totale avec le spectateur de ce cinéma noblement populaire. Tout était réuni pour un immense succès public, et notamment la présence d’un casting réunissant la nouvelle garde du cinéma français, dans des rôles à contre-emploi total. Le simple fait de produire un film d’aventure en costumes étant déjà un contrepied magnifique au tout venant de la production cinématographique française.
Cette ambition se traduit à l’écran par un récit fleuve, sans doute trop long, qui flirte avec les 2h30 et n’évite pas quelques zones de flottement narratif. Pourtant, il y a derrière une véritable volonté d’auteur dans l’approche de cette narration qui articule le film en deux grandes parties au traitement extrêmement différent. Il y a presque deux films en un (voire plus en prenant en compte l’étonnant mélange des genres) et cela peut s’avérer assez déstabilisant au premier abord. La première moitié du Pacte des loups prend la forme assez classique d’un thriller transposé dans un univers historique. Elle correspond à l’aspect “fait historique” du film et la traque de la bête du Gévaudan par divers enquêteurs et chasseurs. Concrètement, il s’agit là d’une enquête de facture classique où l’habituel serial killer est remplacé par un monstre dont les quelques apparitions le garde assez secret. Classique mais d’une maîtrise totale dans la gestion du suspense et de la tension, afin de créer une mythologie propre et une véritable dramaturgie tout en se réappropriant des motifs séculaires. Si l’ensemble brille, c’est par la capacité de Christophe Gans à proposer un récit ample et classique, tout en le dynamitant par l’inclusion de figures tout à fait inattendues. Ainsi, une fois passée la très littéraire introduction en voix off, ancrant le film dans une période bien précise de l’histoire française, le réalisateur ose une première séquence d’action dans laquelle la stylisation extrême règne en maître. Deux “étrangers” vêtus de caches-poussière (citation explicite d’Il était une fois dans l’ouest) débarquent sous une pluie battante, le temps se suspend par l’utilisation massive de ralentis et de plans d’insert sur des points de détail, et c’est déjà l’heure de la première baston, assez époustouflante en terme de chorégraphie et de découpage. Christophe Gans ose faire entrer le cinéma d’action sous une évidente influence hongkongaise dans un film d’aventure historique français. Et ça fonctionne.
Toute la modernité du cinéma de l’ancien rédacteur en chef de Starfix réside dans cette audace et cette volonté de ne pas se poser la moindre barrière et de venir faire se rencontrer des genres à priori immiscibles. Ainsi, dans Le Pacte des loups, en marge de l’intrigue principale visant à percer le mystère de la bête du Gévaudan (l’idée de puiser dans les mythes et légendes de l’hexagone est déjà à saluer bien bas), vont se télescoper différents récits. Romances, récit initiatique, parcours du héros, ésotérisme, sociétés secrètes et théories complotistes, mais également film de vengeance et portrait animiste. En résulte un objet de cinéma qui ne peut être que déstabilisant, tellement foisonnant qu’il menace de s’effondrer sous son propre poids mais y puise une puissance qui laisse coi. Simplement car malgré les apparences, Christophe Gans ne perd jamais le contrôle et livre une œuvre cohérente de bout en bout.
La première partie aborde donc le récit sous l’angle du thriller. Un thriller historique dans le sens où il est solidement ancré dans une réalité politique en faisant s’affronter la tradition et les lumières, mettant en avant avec habileté les méthodes de manipulation de la cour et du roi afin d’exercer son pouvoir manipulatoire sur le peuple. Le premier climax du film, arrivant à mi-parcours, sent essentiellement l’amertume. Cette approche complotiste de l’exercice du pouvoir, en retrait du récit principal mais s’y infusant tout de même de façon pernicieuse, ancre Le Pacte des loups dans une réalité bien plus contemporaine et notamment cette bonne vieille méthode consistant à maquiller la réalité pour désigner des bouc-émissaires. La seconde partie, également de facture très classique sur le fond, consiste en une sorte de revenge movie, de baroud d’honneur quelque part du côté de La Horde sauvage ou de La Rage du tigre. L’angle d’attaque tranche énormément avec la première partie, y compris sur la forme adoptée, mais pourtant l’ensemble reste d’une cohérence remarquable.
La seconde partie évacue donc la notion d’enquête, le récit l’ayant lui-même balayée en prouvant son artificialité. Et si au premier abord l’intrigue perd ici en complexité, les diverses révélations finales n’étant pas des surprises à proprement dire, elle gagne en subtilité et en symbolique dans un savant mélange qui reste populaire tout en développant un langage fascinant. C’est le moment que Christophe Gans pour brouiller un peu plus les pistes concernant l’identité du véritable héros de son film. Ainsi, les premières secondes laissent penser que le héros sera le narrateur avant que le film ne s’articule autour de Grégoire de Fronsac. Pourtant, ce héros tout désigné reste un écran de fumée, Le Pacte des loups devenant au fil des bobines à la gloire du personnage de Mani, certainement le plus complexe de tous et le véritable héros de l’ensemble. Il est le Billy de Predator, un être mystique en communion avec la nature, sorte de dernier espoir sur lequel repose les destins de tous les protagonistes. Il est également le seul personnage à bénéficier d’une réelle empathie.
Tout le dernier acte est un modèle à suivre en terme de gestion de l’action, de mise en scène et de découpage. Christophe Gans y accouche de petits miracles en terme de symbolique afin de donner du sens à la moindre séquence d’action, pour l’intégrer au récit et y explorer des problématiques liées à l’intrigue plutôt que de les amener comme des scènes d’action simplistes. Des symboles qui prennent vie simplement par la grâce absolue de sa mise en scène, d’une élégance au moins aussi remarquable que celle du montage, portant une nouvelle fois la patte de ce génie de David Wu. Cette élégance et cette mise en scène, au service d’un film faisant le pari de tout miser sur l’image (une fois de plus, Christophe Gans développe une véritable poésie visuelle dans la composition de ses cadres, transcendée par le montage), peuvent desservir le résultat final. En effet, de l’aveu même du réalisateur, entre un plan réussi techniquement mais avec une interprétation calamiteuse et un autre imparfait mais avec des acteurs parfaits, il choisira toujours le premier. Cela donne lieu à un film visuellement splendide, une vraie merveille, et d’autant plus beau que la mise en scène très élaborée a toujours du sens, mais en contrepartie la direction d’acteurs est à la ramasse. Le Pacte des loups souffre énormément de ses acteurs généralement en roue libre, comme perdus au milieu de dialogues à la frontière du ridicule. La conséquence immédiate est que les scènes mutiques fonctionnent mille fois mieux que celles dialoguées, faisant de cet étrange objet filmique qui fait se rencontrer une esthétique de fresque historique avec des figures issues du manga ou du jeu vidéo, une expérience souvent réjouissante mais pas tout à fait aboutie. Car mis à part un Mark Dacascos impérial et des seconds rôles savoureux, Vincent Cassel, Émilie Dequenne et surtout Samuel Le Bihan ne semblent pas vraiment au niveau de la mythologie déployée ici et peinent à lui donner du corps.