Décidément, la carrière de Rob Zombie au cinéma suit une courbe bien étrange. Après un premier film plein de promesses, il a directement embrayé sur son chef d’œuvre pour ensuite redescendre, encore et encore. Après un Halloween 2 déjà très décevant, The Lords of Salem confirme que le chanteur de métal n’était peut-être qu’une belle illusion cinéphile. Car si The Lords of Salem possède par intermittences une indiscutable puissance visuelle, largement sous influences, le film souffre d’un scénario faiblard qui n’est qu’une succession de frustrations pour mieux enrober un récit de possession des plus simplistes.
Après de nombreux projets avortés, c’est sous l’aile opportuniste et protectrice d’Oren Peli et Jason Blum (Paranormal Activity, Insidious, Sinister, The Bay…) que Rob Zombie a trouvé refuge pour enfin retourner derrière la caméra et livrer un nouveau long métrage. Un film attendu au tournant pour le plus cinéphile des métalleux, qui avait réussi à transformer une odyssée redneck sanglante en un concentré d’émotions. Avec The Lords of Salem, Rob Zombie renoue avec une esthétique qui marquait autant La Maison des 1000 morts que la plupart de ses clips musicaux, quelque chose de diablement référencé, très léché, nourri d’une symbolique forte. Un traitement souvent magnifique qui ne semble jamais n’avoir coûté que 2,5 millions de dollars tant le bonhomme développe un dispositif de mise en scène formidable, qui pourrait littéralement transcender les faiblesses du scénario s’il n’était pas écrit avec aussi peu d’application. Il n’est pas bien difficile de comprendre où il veut aller sauf qu’au fil de minutes les trous béants dans la narration se multiplient jusqu’à ce que le film perde toute substance et n’existe plus que par ses fulgurances graphiques. La déception est au moins de la taille de l’attente, c’est à dire immense.
Tout commence pourtant très bien, le temps d’un flashback extrêmement graphique qui impose immédiatement une identité au film. Rob Zombie n’a rien perdu de sa superbe en terme de mise en scène, mais déjà il se montre piètre conteur. The Lords of Salem se veut être une projection mentale, un cauchemar qui prend vie tout en avalant littéralement le personnage de Heidi Hawthorne (Sheri Moon Zombie que son mari filme avec amour mais qui montre ses limites en tant qu’actrice principale). L’idée est limpide, c’est l’exécution qui pêche. Car dans The Lords of Salem, étant donné que la narration ne suit aucun logique du fait de ce parti-pris d’une réalité corrompue par l’imaginaire et le rêve, Rob Zombie se permet à peu près tout jouissant d’une liberté tout à fait louable. De quoi exulter sur le papier, étant donné l’imagination débordante du bonhomme et sa tendance à pousser les choses très loin. Sauf qu’ici, ça ne fonctionne pas. Chaque apparition (des rats, des types avec des drôles de masques, un démon, etc…) donne lieu à une frustration terrible car jamais il n’exploite ces éléments à la fois fantasques et dérangeants. Ces personnages apparaissent puis quittent complètement le film, sans qu’on n’y revienne jamais, comme s’ils n’avaient aucun intérêt. Cela pose tout de même un vrai problème de cohésion car il n’y a donc aucune menace identifiée, et donc aucun véritable enjeu dramatique. The Lords of Salem développe une ambiance qu’il n’exploite jamais à sa mesure, Rob Zombie essayant en vain de marcher dans les traces de Roman Polanski et son Rosemary’s Baby, le résultat souffrant terriblement de la comparaison. Et c’est bien la logique interne de la progression narrative qui finit par ruiner le film et ses quelques très belles idées, car il est impossible de s’attacher au parcours de Heidi Hawthorne et à son destin, le film devenant une sorte d’objet froid et sans vie qui n’existe plus que pour développer un visuel très marqué. Un visuel qui en impose souvent, malgré le fait que Rob Zombie se situe encore une fois dans la citation et non la création.
De ses vastes cadres symétriques qui lorgnent volontiers du côté de la géométrie et de la perspective kubrickienne à ces séquences cauchemardesques qui renvoient à un cinéma fou du côté de Ken Russel ou Alejandro Jodorowsky, The Lords of Salem possède une identité cinéphile très affirmée. Rob Zombie a toujours joué avec le recyclage de sa vaste culture et il en joue encore ici, citant autant le surréalisme que le cinéma gothique, ou le cinéma de la paranoïa, faisant se rencontrer Polanski et Bava. C’est très sympa pour l’amateur sauf qu’il n’en tire pas grand chose, se contentant de reproduire et citer avec talent mais pas suffisamment pour transcender ces influences et créer une matière filmique propre. C’est d’autant plus dommage que le bougre est vraiment doué pour construire une ambiance sordide, des instants de malaise, mais il est à la peine au moment de transformer l’essai pour choquer ou générer de la peur. La faute à ce script qui s’effrite en cours de route, à ces visions à la fois si belles et si inutiles, jusqu’à ce final qui se fout royalement du mauvais goût ou du ridicule mais qui conserve cet impact graphique qui caractérise le film. Mais rien n’efface la sensation d’un film aux personnages à peine survolés, souvent sacrifiés, qui ne véhicule aucune émotion, aucune peur, aucun autre sensation que celle d’être ébahi par la beauté des plans. Peut-être qu’en s’essayant à autre chose que la sauvagerie, Rob Zombie s’est trompé de mode d’expression, peut-être qu’il devrait digérer ce cinéma qu’il aime tant pour en produire un qui soit vraiment le sien. Car son talent de metteur en scène et de directeur d’acteurs, ses choix de casting et de bande son (le vrai gros point fort de The Lords of Salem), tout cela se transforme ici en un improbable gâchis. Et ce malgré quelques séquences tout bonnement prodigieuses.